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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Mar 19 Juin - 22:24 2.30 AM, heure de Polis, Arbatskaya.
Alexandre frissonnait encore de la douche glaciale qu’il venait de prendre et baillait à s’en décrocher la mâchoire. Le corps en hypothermie ne demandait qu’à se mettre en veille, prêt à tomber dans un sommeil de plomb. Etalé sur tout l’espace de son lit, il tenait encore le doseur vide à la main, l’empêchant de tomber, après s’être forcé à descendre un demi litre de flotte pour ne pas s’endormir sur de l’alcool. Ses paupières se fermaient sans son accord, sa respiration s’alourdissait et les évènements de la soirée se superposaient en un tableau absurde. Akilina Ivanovna dansait avec Yuriy tout en lui jetant des regards suggestifs et plein de sens. Yuriy ne semblait pas le voir, ni même avoir conscience de ses propres gestes, et il tournoyait avec la brahmane qui le marionnettisait sans crainte. Le visage de la quinquagénaire devenait flou et se confondait progressivement avec les traits de la nouvelle copine de Léo, tandis que son regard restait le même, manipulateur et intriguant. Marko et Ranvir se disputaient avec Daniil et Nikolaï filait le parfait amour avec Anna, le tout en sa présence, comme s’il n’avait jamais existé. Il appelait Anna, mais elle ne l’entendait pas. La voix d’Oksana résonnait en une fréquence distordue, saturée d’interférences. Je te l’avais dit, Stena. Il se levait et criait, car derrière le couple, Yuriy s’avançait, plus grand qu’il ne l’était en réalité, avec quelque chose de monstrueux en lui. Il tentait de les avertir mais ils ne l’entendaient pas. Une colère sourde montait en lui jusqu’à la fureur, et il parvint à courir, avec une lenteur terrible toutefois, entravé par une force invisible. Puis il tenta de se jeter sur l’hybride, mi-kshatriya mi-sombre, et la vitesse du temps s’accéléra. Il parvint à le tacler et se mit à le frapper sans relâche, ses coups portant en un bruit sec et retentissant. Si fort qu’ils en étaient assourdissants. Secs et répétitifs. Toc toc toc toc. Le plastique du récipient tomba et roula sur le tapis.
Enfin, il ouvrit les yeux. Les coups à la porte étaient pourtant très discrets, amplifiés par son ouïe accrue alors qu’il sombrait. Depuis quand dormait-il ? Un coup d’œil à sa montre lui indiquait un quart d’heure. Il se racla la gorge et se redressa lourdement, groggy, puis se frotta le visage. Il s’ébroua et se donna deux claques sur la figure avant de se lever, luttant pour garder les yeux ouverts. L’alcool était un excitant éphémère qui se changeait très vite en assommoir, pour un métabolisme aussi rapide que le sien. Le lieutenant était connu pour ne pas boire, et l’ivresse se reflétait en son regard au premier verre. Désorienté, il rassembla ses idées et ses vêtements dans le désordre, passa en vitesse un short cargo vert militaire en piétinant lestement sur le tapis, batailla avec un teeshirt propre qu’il enfila à moitié avant de finir de boutonner sa braguette, le tout dans un bruit d’ébranlement de sol à chaque pas, en déséquilibre. Plusieurs jurons franchirent la barrière de ses dents tandis qu’il s’effarait tout seul de sa maladresse. L’éreintement ne pardonnait pas. Son système entier cherchait à se mettre en arrêt, le menaçant d’effondrement subit. Depuis le jour fatidique, il avait dormi en tout et pour tout quinze heures. Quinze heures en huit jours. Boum, boum, boum, d’une démarche lourde, soumis à une gravité terrestre de 1.2g, il se dirigea vers la porte et l’entrouvrit.
« Dania », croassa-t-il dans l’entrebâillement, autant pour accueillir le médic que pour se remettre les idées en place, « entre. » Ses cordes vocales paraissaient avoir fusionné, ne produisant qu’un bas grondement enrayé. Il ouvrit en grand et s’écarta pour le laisser passer, la main sur la poignée et l’avant-bras calé contre le panneau composite, l’épaule prête à s’y enfoncer. Il hasarda un sourire à l’attention du visiteur, ses yeux ensommeillés lui donnant un air particulièrement perché, comme si la fatigue avait balayé toute trace d’inquiétude de sa figure. Mais la concentration ne tarderait pas à revenir forcir ses traits.
Attends une seconde. Kraïevski prenait du service à 3.15 AM ? Il était déjà en uniforme, rasé et bien plus réveillé que lui, bien qu’il donnât également l’impression d’avancer par écholocation. Le chef du Vympel eut un instant de doute et crut faillir à son devoir, infoutu de pouvoir s’assurer sur le champ des tours de garde des différentes unités. L’organisation de la garde de Polis était algorithmique. Analogiquement algorithmique. C’était à cela qu’un œil étranger, hypothétiquement mis dans le secret, pouvait réaliser les relations intriquées entre les castes brahmane et guerrière. Les relèves étaient assurées sans trêve et aléatoirement sur des durées également aléatoires. Des types étaient effectivement dévoués à ces tâches de soutien logistique et leur mission de mathématiciens kshatriyas étaient quasi-sacrées : les binoclards et les soldats travaillaient main dans la main pour la sécurité de la grande Cité. Les officiers supérieurs transmettaient ensuite aux officiers, oralement, l’organigramme pour le segment de temps α, β, γ, δ, etc., selon l’alphabet grec. Du 12 juin 2046 au 15 juin 2046, ils se trouvaient en segment ρ et n’avaient pour l’instant aucune idée de la durée du prochain segment σ, ni des détachements des unités et des heures de relève. L’information était transmise à l’oral et n’était jamais écrite, nécessitant une mémorisation immédiate de la part des kshatriyas.
Non, infirma-t-il mentalement lorsque tout lui revint, le kombat médic prenait à 7.30AM, et en service restreint, comme tous les survivants de la mission. Il referma la porte, ou plutôt s’y appuya contre, le résultat étant le même, et s’y adossa salutairement, laissant sa tempe reposer contre la surface le temps que Daniil quitte ses godillots et ne fasse un pas hésitant dans la chambre. Alors, avec une décontraction feinte, du moins jusqu’à ce qu’advienne un réel délassement, il se décolla de son lit mural pour le rejoindre et l’invita à s’avancer, d’un bras qu’il lui passa dans le dos sans toutefois le toucher, comme si un champ magnétique prenait le relais jusqu’aux reins du kshatriya. Ils progressaient manifestement tous deux au radar et auraient offert un tableau tragiquement comique, si la situation n’était pas si sérieuse. Il le guida vers le lit qu’il lui indiqua d’un coup de menton avant de se retourner face à son bureau, et il cessa tout bonnement de fonctionner. Puis il se rappela aussi subitement ce qu’il cherchait à faire et finit par saisir le dossier de sa chaise, d’une seule main, se retourna avec une agilité déconcertante, ou dangereuse, et dans un même élan, la largua sur le tapis, face au lit, avant d’y prendre place, en lui arrachant un craquement plaintif tant par sa lourde carrure que par sa brusquerie.
Il croisa d’abord les bras mais poursuivit le mouvement, jusqu’à se tenir les flancs, et déplia une jambe pour poser le pied sur son lit, contre Daniil. Et dans le silence, il l’observa avec une attention religieuse, les sourcils froncés de sommeil et d’appréhension, ses prunelles d’ambres claires, claquantes dans les orbites rougies. Il avait l’air à la fois fiévreux et attristé, grave et farouche, prêt à entendre quelque chose qui allait changer la donne. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Mer 20 Juin - 0:13 ”Passe, tout à l’heure.” Cette phrase lui revenait, de temps à autre, depuis qu’il avait quitté le Strelka et Daniil prenait une profonde inspiration au souffle tremblant, pour la énième fois depuis. Oui, il était stressé. C’était l’appréhension multiple ; celle d’enfin se débarrasser d’un poids terrible -advienne que pourra-, celle aussi de se confronter à la réaction inconnue à laquelle il ferait face -de potentiellement perdre son ami-, et puis… Il était tard. Très tard, pour se rendre dans la chambre du lieutenant. Une douche froide l’avait un peu réveillé, autant que rafraîchit et il avait passé un certain temps à mettre son uniforme ; s’assurant de l’absence de faux plis, vérifiant que ses patch étaient correctement cousues et qu’aucune déchirures ne venait entacher la fierté de l’ensemble. Son crâne était rasé de frais également et il avait tant frotté son tatouage que pour peu, celui-ci se serait mis à briller de propreté. C’était quelque chose que nul ne pourrait lui enlever, pas même lui ; son statut était ancré dans sa chaire, coulait dans ses veines et animait son coeur et son corps tout entier. L’entraînement continu qu’il s’imposait était ineffaçable, quoi qu’il arrive. Ainsi le médic se rassurait-il, de la manière la plus simple qui soit, de son affectation et ses propres capacités. Cet uniforme, il ne l’avait pas obtenu pour rien. C’était de l’auto-motivation, tel le condamné qui vint à marcher avec fierté aux côtés de son bourreau ; convaincu d’emmener avec lui, quelque chose d’important et de précieux. Puis enfin, il entama le chemin le menant aux quartiers du lieutenant Vympel. Le pas lourd et l’esprit ailleurs, ses pas le guidaient sans mal ; donnant presque l’impression qu’il aurait pu dormir tout en poursuivant sa route. Mais dormir… Dormir était quelque chose que son corps ne connaissait plus, depuis le retour de mission. Le repos ne trouvait plus de définition pour son esprit. Non ; il n’y avait plus que l’effondrement dû à la fatigue, l’horreur des souvenirs inondant sa vision endormie et la douleur brusque en le réveillant, le tirant jusque dans les muscles. Il deviendrait fou, oui. Si ça n’était déjà le cas. Relevant la tête, Daniil contempla la porte fermée d’Alexandre, forcé de reprendre une profonde inspiration et une libératrice expiration. Il tira à nouveau sur les plis de son uniforme, lissant les motifs et ajusta ceinture et gants tactique, avant de frapper contre le battant. Peut-être aurait-il mieux fait de venir en simple apparât, mais aller s’expliquer avec le lieutenant en étant vêtu à la légère, aurait sans doute fait étrange. Il s’attendait à trouver Prokhorenko en tenue ; d’entraînement ou de service, au choix - il laissa le hasard le surprendre-. Mais rien de cela, non. La main encore en suspens, hésitant à cogner de nouveau, l’antre s’ouvrait enfin sur un homme dans ses plus simples habits et il ne fallut qu’un coup d’oeil à Daniil pour comprendre que son vieil ami souffrait, lui aussi, de quelques insomnies. Il voulut lui répondre, dire quelque chose, mais les mots semblaient dérisoires en cet instant et s’envolèrent loin de sa conscience, comme les ténèbres qui reculent sous une lumière trop aveuglante, jusqu’à disparaître au loin et n’être plus que souvenirs d’un souvenir. “Entre.”Il s’exécuta, droit, raide. Rigide dans ses mouvements et plia les genoux pour retirer ses grolles. Ce faisant, il s’aventura à zieuter brièvement par-dessus son épaule, attrapant au vol le sourire essayé d’Alexandre qui s’appuyait contre la porte en la refermant. Et quelque part, il ne put s’empêcher de le trouver magnifique en cet instant, allant presque à souhaiter que le mur s’effondre, que Sasha s’endorme ainsi et que l’occasion lui soit donnée dès lors, de s’en approcher pour l’effleurer. Il divaguait. Voilà. Tu divagues, mon vieux. se reprit-il mentalement en se redressant, emporté aussitôt par l’onde d’un bras à son dos qui pourtant, ne le touchait pas. Lui aussi, eu un temps d’arrêt ; court-circuit neuronal devant le lit qui s’offrait à lui. Oui, dormir. Dormir aurait été la meilleure des idées et aussi la plus désastreuse. Car le médic n’était pas là pour ça. La vérité se devait d’être décrite, aussi cruelle soit-elle. Alors il prit place, les pieds à plat sur le sol et les coudes sur les genoux, courbé vers l’avant jusqu’à ce que son visage en vienne presque à toucher ses mains jointes alors qu’Alexandre mettait le décors en place, torturant une chaise. La position n’était toutefois pas celle de l’apitoiement ou de la résignation, non. Là était un homme qui cherchait ses mots, triant sur le vif les souvenirs réels de ceux, amplifiés et déformés, des cauchemars dépourvus de pitié qui n’avait de cesse de le tourmenter. Il ne commencerait pas par ‘Si’, se décida-t-il lorsque son vis à vis pris place sur la chaise. Car, avec des ‘si’, on refaisait le monde. Un pied se posait à son côté, le touchant à la cuisse et lui faisant relever la tête. Malgré toute la culpabilité ressentie, Daniil était déterminé et cela se voyait au travers son regard victime d’un manque de sommeil. Il ne perdrait point le nord, peu importe combien la distraction était si proche. Pour lui-même et dans son esprit, il se moqua en songeant qu’il n’était au moins pas là pour répondre de ses penchants. Mais avec triste réalité, réalisa trop rapidement à son goût qu’il aurait été mille fois plus aisé de lui balancer qu’il était attiré par lui, que ce qui l’emmenait en cet instant, à cet endroit précis. Oui, car peu importe comment il tournait la chose, lui avouer que de le voir heureux l’emmenait à une euphorie plaisante, était plus facile à digérer que ‘Marko est mort parce que j’ai pas été foutu de gérer l’imprévu’. Hm. Allez. Son coeur battait fort, semblait-il. Lance-toi. Une seconde de courage, une seule, serait suffisante. Une.La vitesse avec laquelle il se leva, manqua de peu de le faire retomber aussi vite dans sa position précédente, tant le sang lui monta d’un coup à la tête. Mais, les bras le long du corps, Daniil s’était lancé. “C’est en me venant en aide, puis en m’écartant du chemin, que Marko s’est fait prendre.”Autant commencer par là. “En fait… Tout est allé terriblement vite.”Résolu à tout lui raconter, le médic n’avait pourtant pas prévu les tremblements, infime et pourtant percutant, qui venait naître au bout de ses doigts et il dû se rasseoir sans courber l’échine, poursuivant du mieux qu’il le pouvait ; bataillant en temps réel avec ses souvenirs et ses conclusions. “J’étais en position. J’assurais l’arrivée de Marko. Puis ma vision s’est...Changée. J’ai été submergé par une vague de froid, intense, et ça n’a duré qu’une seconde. Avant que…” Oui, il cherchait ses mots, ne semblait plus même voir Alexandre, assis pourtant juste devant lui dont la stature sous la lumière tamisée de la lampe de chevet, s’inondait de zone d’ombre et de halo tel un portrait embellis, au regard surréel luisant dans la pénombre. Je ne sais pas comment l’expliquer.“Il n’y eu plus que des couleurs vives, là où la vie se trouvait. C’était comme si chaque source de chaleur se répercutaient en moi. J’avais l’impression de brûler vivant. Marko a sans doute cru à une hallucination. C’est ce que je croyais, moi aussi. Le temps qu’il vérifie mon équipement, un de ces mutants était sur nous. Il a eu tout juste le temps de me pousser sur le coté. Je n’ai pas eu le.” Il soupira, discrètement. Le temps de s’armer. C’était faux. Terriblement faux. Aurait-il eu le temps, s’il en avait eu la présence d’esprit ? S’il avait pu gérer l’imprévu et les éléments ? En attendant, il avait cette fois consciemment choisi les bons mots. C’est ce que je croyais, moi aussi.“Je n’ai pas eu le sang-froid dont j’aurais dû faire preuve. Je n’ai pas su…” Il jura bassement, prenant son visage à deux mains et cherchant à redevenir maître de sa propre respiration alors que la force de son rythme cardiaque engourdissait jusqu’à la pointe de ses orteils. S’il avait géré. S’il avait su faire abstraction de toute distraction, aussi forte soit-elle, Marko aurait peut-être été encore en vie aujourd’hui. Pourtant, c’était une phrase qu’il ne tint pas à partager de vive-voix avec Alexandre. Car il n’était pas là, ni pour se justifier, ni moins encore pour demander pardon. Il était là pour exposer une vérité trop longtemps gardée sous silence et assumer ses erreurs. Il était prêt. Prêt à faire face aux conséquences. Alors, pourquoi ses mains tremblaient-elles encore, alors que sans même fermer les yeux, la scène n’avait de cesse de se matérialiser dans son esprit. “J’ai merdé, putain. Ça aurait dû être moi.” Laissa-t-il entendre, au prix d’un effort certain avant de reprendre le récit : “Lorsqu’il a tiré, la chose était déjà sur lui. Je ne sais pas si Volkovar a tiré dans la seconde, ou si j’ai eu le temps de couvrir. Puis on a tous été incapable de bouger. De faire quoi que ce soit…”Avait-il besoin de poursuivre le récit jusqu’à la fin, ou le lieutenant comprendrait dès lors la suite logique ? Daniil en avait des nausées, rien qu’à y repenser. À cet épisode où une autre créature était venue se nourrir, tout contre lui, du corps de leur frère. Il ferait donc silence, le temps de se reprendre et d’ainsi aussi, laisser son camarade digéré ; il n’était pas aussi fort qu’il l’avait lui-même cru jusqu’à cette histoire. |
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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Mer 20 Juin - 16:23 Le regard du lieutenant finit par s’intensifier, les yeux à la fois étrécis et écarquillés d’une appréhension terrible devant l’expression du kshatriya. La mise informelle avait été volontaire, ainsi que le moment choisi : dans l’interrègne, entre deux réalités, pour laisser à ce frère la possibilité d’exprimer l’indicible, et de faire imploser sous environnement contrôlé, le cœur massif en effondrement qu’il contenait jusqu’alors. Mais Kraïevski était d’une auto-exigence destructrice, toujours surcompensant ses origines de fils de noble famille, comme s’il devait souffrir plus que ses autres frères, pour avoir le droit d’en être. Il y avait cela, et autre chose que Stena savait sans voir, ou plutôt, qu’il voyait sans s’y adresser. Jusqu’à sa rencontre avec Airat Ivanov, la veille de la mission fatidique, et le resurgissement du passé. Volonsky, l’assassinat, le refoulement d’une décade. Lui n’avait pas le droit, il était un chef et devait protéger ses hommes, non pas être cible de racontars, qui tels un feu sur une trainée de poudre, finiraient par faire péter la cohésion des sections pour de bon. Les rivalités étaient légion, les altercations sans suite étaient communes, les querelles fondées l’étaient aussi, ainsi le sergent Jdanov et lui-même, des frères ennemis.
Qu’adviendrait-il s’il devait un jour s’indulger le corps d’un homme ? Ne chie pas dans la mangeoire, songeait-il parfois, sans classe, mais redoutablement perspicace. Dans la clandestinité, loin d’Arbatskaya, loin d’Anna, loin de tous ceux sur qui ce désir pourrait avoir de tristes retombées. Même sur Daniil, qui lui faisait face, et dont le chambrage récurrent et les bastons de leur adolescence se révélaient à lui, par flashes et par engrammes, sous un tout nouvel éclairage. Il voyait clair, paradoxalement, au travers du brouillard post-traumatique et de la déprivation de sommeil chronique. De la même manière qu’ils avaient couvert le serbe et l’indien, ils devaient couvrir Kraïevski de Schrödinger aussi. Il devait le protéger en déjouant les lois dangereuses de l’attraction, et non se jeter dans le puit gravifique de la renommée en l’y poussant le premier. Non, il n’en avait définitivement pas le droit, ne serait-ce même que d’y songer ; la possibilité avait été étouffée le jour où il avait accepté le grade et la responsabilité. Par l’exemplarité.
L’ambre dure forait dans le vif argent, liquide et vacillant, mais lorsque Daniil se releva subitement, Alexandre manqua de partir à la renverse. Les pieds avant de la chaise décollèrent du tapis, les pieds arrière n’y touchaient plus que par le coin, et il décroisa vivement les bras pour rétablir l’équilibre, dans un rush d’adrénaline. Ça, c’est fait. Maintenant, au moins, il était bien réveillé. Il recroisa les bras et reposa le pied au sol, abasourdi, et se laissa longuement glisser sur son assise en relevant le nez. Les yeux grands ouverts, le regard accroché au visage en contrehaut, il s’attendait soudain au pire, médusé devant la culpabilité qui irradiait du soldat. Il cilla, conscient du fardeau que l’autre portait seul, à tort, depuis la mort de Dordevic. S’il requérait de savoir exactement ce qui s’était passé, il savait toutefois que le kshatriya n’avait pas fauté, peu-importait ce que pensait ce dernier.
La première salve ne le surprit pas. Il l’accueillit d’un hochement de tête appuyé, sans le quitter des yeux, comme si l’accroche de son regard pouvait l’aider à persévérer et poursuivre au travers de la difficulté. La seconde salve le fit plisser les yeux. Une vague de froid. La froidure, oui, tous l’avaient ressentie à plusieurs reprises. En cet instant, le corps d’Alexandre était de feu depuis la tête jusqu’aux bout des doigts, le torse semblable à une orbe flamboyante surgissant de l’obscurité vantablack du vide sidéral. Il réfléchissait et invoquait les démons de la mission, de conserve avec l’auditionné, baissant le menton lorsque celui-ci s’était rassit. Il se rehaussa sur son assise à son tour et se pencha sur l’avant, les avant-bras calés sur les cuisses, la tête inclinée de compassion, et toujours il l’écoutait. Lorsque vint le gros du déballage, les traits de son visage forcirent définitivement. Il échouait à faire correspondre le récit de l’expérience personnelle du médic avec la sienne propre, chaque seconde marquée dans le rapport de ses dépositions multiples, renforcée à chaque interrogatoire et chaque procédure contradictoire.
Bruler vivant. Non. Lorsque le coup de fusil de Volkovar avait retenti, leur mobilité n’était pas réduite. Kraïevski avait crié bien avant que l’attaque psionique du sombre ne les ait incapacités. Des couleurs à la place des vivants, non plus. Des ombres et des peintures mouvantes, hypnagogiques, sur les murs, oui. Mais ce que décrivait Daniil ne correspondait à rien de l’horrible communion synesthésique partagée. Tandis que le roux poursuivait dans l’émotion, le récit achevé et les détails de l’expérience singulière, intimement personnelle, relatés, le regard d’Alexandre s’était perdu, concentré dans une dimension lointaine, un univers de considérations soutenues. Ses processus réflexifs, ralentis de neurotoxines et de déchets cellulaires accumulés dans l’insomnie, tournaient dans la glue.
« Arrête », souffla-t-il en relevant enfin les yeux, l’héliodore iridescente prête à frapper l’acier de plein fouet, s’il cessait de se cacher. « Arrête ça, tout de suite. » Sa main s’abattit sur le poignet du soldat qu’il écarta de son visage, comme pour le recentrer dans son récit, revenir sur les faits et le sortir de l’émotion et de la culpabilité. « Tu es là, tu es vivant. Et tu vas sauver des vies. Plein. Marko le savait. Lui aussi, il a fait son devoir. » Le timbre de voix mal dégrossi vibrait avec fermeté. Les mots étaient sincères. Il fit glisser sa prise jusqu’à recouvrir le dos de la main prisonnière et ses phalanges se refermèrent sous la paume du soldat, y exerçant une légère pression, tandis qu’il rabattait leur empoigne dans le vide, entre le losange de muscles que formaient leurs cuisses. Un mélange de sévérité et de compréhension émanait de son regard, en dépit de l’état de confusion régnant. Un soutien inconditionnel, ou une inflexible compassion dans le bourbier.
« Dania, je vais te poser certaines questions, et tu dois me dire la vérité. » Une nouvelle pression sur la main, une caresse fugace du pouce, en guise d’encouragement. « Est-ce que ça s’était déjà produit. » L’interrogation était donnée sur un ton déclaratif. Sa voix commençait à se délier, basse et affirmée. « Ce phénomène, il s’est déclenché en présence des mutants, seulement ? Ou est-ce que tu avais déjà eu ce type de vision ? » Son regard était intense, il ne le quittait pas des yeux, scrutant la moindre micro réaction. Si responsabilité il avait, c’était à cet endroit qu’elle se trouvait. Kraïevski n’aurait pu commettre qu’une seule faute, celle ne de rien lui avoir dit, avant.
Mais il ne s’arrêtait pas là : « Est-ce que ça s’est reproduit, depuis ? Un trigger ? » Il le tenait toujours. L’ami, le frère, le lieutenant, les trois-en-un aux commandes du char d’assaut lancé à pleine puissance contre un radeau. Une intuition sauvage, sans qu’il prît de grands risques, lui répondait avant le soldat : sous le coup du stress et d’une très forte émotion. A moins que quelque chose en lui n’ait donné le contrôle de sa cervelle au sombre, résultant en ce traitement de faveur particulier. Peut-être avait-il été mindhacked avant eux, dans une attaque somesthésique précoce. Qu'avait-il dit pendant les interrogatoires, que disaient les minutes de ses entretiens ? Ou peut-être que Daniil avait développé une double vision. Des couleurs dans le vivant, tel un reptile ou un nosalis. Chaleur et écholocation. Déclenchée sous le coup de l’émotion. Les séquences causales bayésiennes se déployaient derrières ses rétines, dans un enchevêtrement de ramifications fractales. Infoutu de réfléchir logiquement, l’instinct, le plus bas degré de la réflexion, prenait le relais et toujours il lui tenait la main. C’est ainsi qu’Alexandre venait sciemment d’embarquer son ami pour un tour de montagnes russes. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Jeu 21 Juin - 8:02 Le serbe n’avait point sauvé un médic, mais une anomalie déclarée. Voilà à quoi songeait Daniil, juste avant que Prokhorenko ne tranche net le fil de ses pensées. Il voulut lui dire qu’il ne comprenait pas, croisant le regard du lieutenant au travers ses doigts mais encore, celui-ci l’en empêcha ; capturant son poignet d’une main ferme et dévoilant son visage rougit par la chaleur de ses propres mains. Quel fardeau cela pouvait-il bien être, que d’être à son rang et devoir gérer l’ingérable ? Ça n’était pas le moment, pourtant Daniil y songeait en cet instant. Quand diable, Stena trouverait-il celle qui lui fallait et qui saurait l’épauler ? Il secoua la tête, le geste infime, presque illusoire, mais n’avait nul besoin de répondre pour que Stena le comprenne : Bien sûr, qu’il lui dirait la vérité, toute la vérité et ‘Dites je le jure’. Ils étaient si proches. Il était si près. À l’orée du matériau de son gant, il percevait sans mal la peau rugueuse du lieutenant et les pressions que celui-ci y exerçait, comme pour l’encourager, lui faire comprendre qu’il était là. Ou bien l’empêcher de foutre le camps sous une décharge de lâcheté qui ne lui ressemblerait pas. Sasha.Il avait failli le perdre, lui également. Ils avaient passé si près de mettre trois cercueils en terre. Qu’aurait-il fait ? Comment aurait-il réagi, si tel avait été le cas ? S’il avait assisté, impuissant, à la mise à mort de son ami d’enfance, par tir fratricide involontaire. Ho surtout, oui surtout, que les Dieux s’ils existent, le préserve de pareil affront car alors, la Russie toute entière ne serait point assez vaste et la hiérarchie nulle assez puissante, pour l’empêcher de réclamer vengeance par le feu et le sang, jusqu’à ce que se tarissent ses tourments et que gîse à ses pieds l’abominable créature responsable. Ou son corps aux pieds de celle-ci. “Non.” Trancha-t-il à la question affirmée, sans que son regard ne vacille ; soutenant l’ambre en vis-à-vis. Non, il n’avait consciemment pas eu d’épisode présageant la catastrophe. Mais “Oui.” fut-il forcé d’admettre, l’emprise à son poignet l’empêchant de tout bonnement reculer. Il tenta néanmoins de reprendre son bras et d’ainsi se soustraire à la prise, aussi douce et agréable lui soit elle, de son frère. Il ne pouvait lui mentir, non. Et quand bien même lui serait passé l’envie idiote de vouloir cacher une part de la vérité, Daniil savait qu’Alexandre ne laisserait rien lui passer sous le nez. Trop perspicace pour cela, trop fin. Trop aguerris, sans doute. Tenter de dissimuler une information serait aussi inefficace que destructeur. Car le mensonge, entre frère, entre ami, n’avait lieux d’être que si l'on souhaitait rompre les liens. Hors, Kraïevski souhaitait bien des choses, sauf cela. Ça le traversa d’un soudain, cette réalisation et s’imposa alors en lui, une toute autre vérité. Il était sans doute déjà découvert, sur un tout autre plan. Misère. Ne pouvait-il pas s’endormir, là, en un claquement de doigts ? Récupérer suffisamment pour recentrer ses idées là où il le fallait et non pas sur ses plus sombres désirs ? Mais la vérité, une autre encore, était bien que lui aussi, quelque part, avait besoin de se savoir vivant. Alexandre n’avait pas fini de parler, que l’esprit du médic luttait pour rester ancré dans le moment, détaché de son propre corps et planant entre deux plans d'existence. Était-il en train de développer quelques symptômes schizoïde sans même le savoir ? Il repensait à ses cauchemars, récents, et encore à ses brusques réveils où son monde se trouva plonger dans un univers aux six couleurs de teintes variantes. Et il aurait sincèrement aimé que cela ne s’en tienne qu’à ces instants. La vérité était bien cruelle. Encore et toujours une vérité, car il s’agissait cette nuit, de cela uniquement : des vérités trop longtemps dissimulées. “Alex.”Il crût lui avoir coupé la parole, mais il n’en était rien et le lieutenant du Vympel le tenait toujours, le gardant sur terre d’une poigne réelle et salutaire. Devant lui, se trouvait cet ami de longue date et derrière ce vieil ami, se superposait, impitoyable, tant de souvenirs partagés alors qu’entre eux, tel un voile transparent mais pourtant visible, se jouait et rejouait une bien macabre scène qu’il connaissait dorénavant par-coeur au point de s’en souvenir lorsque plus rien n’aurait de sens à son esprit, si la chance lui était donné de vivre jusque-là. Et la froide étreinte qui par derrière le prenait, le ceinturant aux épaules telle l’amante attentionnée, n’était autre que les cauchemars se rappelant à lui. Toc-Tac, toc-tac. Toc-tac, toc-tac. Le silence venait de s’installer mais l’ouïe troublée du médic persistait à entendre l’écho déchirant des chaires qui s’étirent, se rompent. Des coups de fusil touchant l’air et puis les corps. L’échos, désordonné, de sa propre voix qu’il n’avait pas comprise lui-même sur l’instant, poussé par l’instinct et le refus net de déclarer mort un homme avant d’avoir pu faire quoi que ce soit. Et puis, aussi, ce semblant de ronronnement satisfait que produisit cette créature, infâme, alors qu’elle lui passait tout contre la joue. Infâme oui et terriblement douce à la fois. Dans les souvenirs, on ne se voyait pas soi-même. Pourtant, dans ses cauchemars infatigables, il se voyait bel et bien ; juste là, debout, le visage en sang de ce liquide ne lui appartenant pas et Marko… Marko en deux morceaux, reposant au creux de ses bras, tel la belle, endormi pour l’éternité. Toc-Tac-toc-tac. Toc-tac-toc-tac. Au-delà les barricades de sable, Alex également. Alexandre, sous une toute autre forme, dépourvu de son habituelle identité, dépourvu de cet ambre chaude, de ce mélange d’or en fusion siégeant dans le blanc de son regard et surtout : Yuriy. Yuriy qui partait vers une destination et un destin tout aussi inconnu et incertain l’un que l’autre. Le froid, le chaud ; de la glace et de la lave. Ou bien du magma en ébullition, crevant la surface tel l'abcès trop longtemps intraité. “Ça ne s’arrête plus.” Souffla-t-il en un murmure à peine audible, à bout de souffle, à bout de force. À bout de tout et d’épuisement, surtout. “Ça reviens, sans cesse.” L’aveu était terrible. Ça ne s'arrêterait jamais et il était encore bien trop tôt, il avait encore l’esprit bien trop torturé, pour saisir l’ampleur de ce que cela pouvait lui apporter de bénéfique ou bien même, d’en rire. Oui d’en rire, en comprenant que l’adrénaline était déclencheuse de tout cela. La peur, l’appréhension aussi, entre autre chose. Son humour, pour l’instant, n’arrivait pas encore à lui offrir une image, de quoi le faire doucement rire ; jaune peut-être, mais rire tout de même, en s’imaginant au lit, avoir soudainement trop chaud, plus que d’ordinaire et pour une toute autre raison. Non, pour l’instant le médic n’était plus qu’une anomalie. Une de celle que l’on chercha souvent à exterminer, ci et là dans le Métro. Ou a étudier. Combien de temps resta-t-il à ce point silencieux ? Les sens engourdis, étourdis, pris de vertige sous l’assaut imaginaire des cris déchirant contre ses tympans et la peau tremblante sous les doigts du lieutenant. Les doigts chauds, du lieutenant. C’est alors que Daniil pris conscience qu’il n’était plus plongé dans ses souvenirs mais qu’il vivait en temps réel. Que sa vision n’était pas celle d’un fantôme et que la chaleur qui se répandait en lui, n’était pas non plus la mémoire de son système tégumentaire, mais la dure réalité. Alexandre n’était plus. Devant lui, baignant dans un vide de bleu et de bleu, se trouvait une flamme vacillante dans laquelle on avait jeté quelques chimiques éléments afin d’en colorer les rebords ondoyants. La main libre se levait alors, traçant une trajectoire évidente tant le geste fût lent, l’intention de poser la paume de cette main contre la joue rougeoyante du lieutenant ; attiré d’un soudain, pendant qu’il était encore temps, cette seconde juste avant l’insupportable. Mais stoppa, n’ayant parcouru que quelques misérables centimètre, penché vers l’avant, vers lui, vers ce frère et vers cet homme, comme s’il pouvait partager le même air. Et se statufia, littéralement ou presque ; c’était comme si, à peu de choses près, car il ne respirait qu’à lente inspiration aussi infime et légère qu’une brise printanière d’une époque passée et oubliée, inconnue pour nombre d’entre eux et la bouche entrouverte sur une formulation indécise autant qu’imprudente et irréfléchie. “Tu es…” Entama-t-il avant de froncer les sourcils comme si c’était la seule chose qu’il pouvait remuer en l’instant, figé tout entier dans sa position et les yeux tombant sur le visage orangé et vermillon. Carmin, même. “Si chaud.” Acheva-t-il, inconscient et abruti sur le moment. |
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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Jeu 21 Juin - 16:30 Les premières questions étaient très simples et visaient à recentrer et mettre en confiance. Elles n'en étaient pas moins déterminantes. Le lieutenant se retrouvait de l’autre côté de la table d’interrogatoire cette fois, et probablement sans qu’il ne le réalisât. Jusqu’aux dissonances cognitives que pouvaient entrainer chez le soldat, la pression affective de sa main, le ton ferme avec lequel il s’exprimait, le regard concerné et pourtant scrutateur. Analyste, ami, supérieur, frère et responsable. A la première réponse, négative, il laissa échapper un soupir subreptice de soulagement sans que l’intensité de sa concentration ne varie d’une once, et il avait poursuivit en mitraillant, arrachant la collaboration du kshatriya tout en l’ancrant dans le moment présent, avec lui, ici. L’impression qu’il tentait de lui échapper sans cesse, happé en arrière, dans la salle des cauchemars, entrainé dans une spirale de culpabilité sans fin où se rejouait la scène en boucle sans qu’il n’y pût jamais rien changer. Mais il répondait, décidé et affirmatif, jusque dans la négation, et en retour Stena ne le lâchait pas. Kraïevski n’avait donc pas commis de faute. Les circonstances de la mort du serbe avaient été exceptionnelles : le kombat médic était, au moment de l’attaque, incapacité par un phénomène somesthésique de nature psionique. Une première version qu’il espérait être celle que Daniil avait servi en interrogatoire sans en démordre jusqu’à leur libération. Qu’il n’avait pas dévié de sa narration d’un iota. Mais l’espérer de toutes ses forces ne rendrait pas son souhait réel, moins encore par rétroaction. Ils y viendraient, un peu plus tard. « Dan. » Un rappel à l’immanence, une traction sur la prise qu’il maintenait sur sa main. Et enfin vint l’aveu, la terreur de l’éternel retour, sisyphéen, du condamné à la répétition. Les visions ne s’arrêtaient plus, comprit-il, ainsi que le retour de l’épouvantable et du refoulé, tout à la fois. Sans être en état de se le formuler, Stena entendit les doubles sens, l'inconscient à l'oeuvre, et il communiait, le système limbique branché sur celui du médic. Les plans de son expérience se confondaient en un maelström de passions terribles, noyés dans un tourbillon somesthésique, couleurs, douleurs, horreurs, désir. Son interlocuteur était entrain de perdre prise, aspiré dans les méandres bouillonnants de l’affliction et des hallucinations mnésiques. Le manque de sommeil jouait en sa défaveur achevait de le rendre psychotique, craignit-il. Le gant lui resta en main lorsque le kshatriya se dégagea d’un mouvement sans force, mais intraitable dans sa lenteur. Alexandre cilla, interdit, et se ressaisit devant l’impression dérangeante, en décochant un trait d’ambre dans l’acier. Mais l’autre semblait de pas répondre au regard, en train de monter les degrés d’une échelle autistique. Daniil le voyait, indubitablement. Pire, il l’étudiait mais la communication était rompue, son regard tirant sous les orbites, aliéné. Que voyait-il en cet instant ? Le bleu sidéral de la stupéfaction ? L’azote liquide qui déferlait le long de son échine dans une sensation métallique si froide qu’elle en était brulante ? Etrange sensation dopaminergique, de peur mêlée pour son ami et d’excitation survivaliste devant un phénomène déroutant. « Oï… » Un murmure rauque, les yeux écarquillés vrillant à l’oblique, avant qu’il ne tourne brièvement la tête pour suivre le mouvement de la main qui profilait son visage. « Là, c’est en train de se produire, c’est ça… ? » hasarda-t-il, incertain de la marche à suivre. Je suis… quoi donc ? Un dernier coup d’œil sur la main du ksatriya, avant de revenir chercher inutilement un signe de présence, de reconnaissance, dans le regard allumé. Pas absent, non, juste, braqué sur une autre dimension, inaccessible. Et vint le commentaire, arrêté sur un choix de mot qui, hors considération d’ordre médical, l’aurait fait méchamment sourciller. « Heu. » Dysfonction réflexive, pétrification des axones et gel des circuits neuro. Il s’empourpra violemment, sur fond d’alarmes mentales à la manière des gyrophares, et il sentit ses joues flamber le néon-argan et l’hydrogène, sous le coup de sang flagrant. Malmenant la chaise qui soutenait son quintal, il se redressa légèrement, prenant recul, et se râcla la gorge. « OK», toussa-t-il. Lui aussi, devait se recentrer. Alors il se prépara à faire face, dans un craquement de jointures, à gérer ce frère aux prises d’une faculté en éveil chaotique. Dans le meilleur des cas. « Concentre-toi sur ma voix », conseilla-t-il d’un ton qu’il voulut calme et rassurant, tout en relevant lentement la main à son tour, dans un geste circulaire, paume à plat devant la figure en vis à vis. Puis il ferma le poing en ne gardant que l’index en l’air, pour effectuer des mouvements horizontaux sur une cinquantaine de centimètres, toujours sous les yeux du roux. Un test de perception afin de déceler ce qu’il était encore capable de percevoir - présupposant les mouvements et les formes, qu’il poursuivit quelques secondes tout en lui parlant : « Dania, ça fait une semaine qu’on n’a pas fermé l’œil. Raj, toi et moi. Si Yuriy était là, il dirait que tout fout le camp, hein ? » Les derniers mots furent servis sur le ton de la dérision, un soupir en guise de ponctuation et de ris. Le timbre de sa voix bourdonnait, il essayait de ne pas parler trop fort, pour des raisons évidentes. « Mais on va reprendre les choses en mains, et toi aussi, tu n’vas pas te laisser abattre par un putain d’arc-en-ciel, tu vas reprendre le contrôle. » Le doute le submergeait mais il repoussait le pessimisme au loin, inutile et redondant. Car rien ne garantissait que Kraïevski pourrait se rétablir. Rien ne lui permettait d’assurer qu’il n’était pas victime de neurodégénérescence ou atteint de démence. La démence était courante, dans le métro, des êtres circadiens voués aux ténèbres. Qu’avaient-vu Akilina Ivanova et Anna, avec la machine ? Anna savait-elle quelque chose qu’elle lui taisait encore ? Mais il devait y croire. Il devait soutenir son ami et avoir espoir, pour lui. « Merde, Dan, t’imagines la chance ? Ne plus voir la face de Jdanov et voir un… flou artistique à la place… Heh ! » Nouvel éclaircissement de voix, la prise de conscience d’une bien piètre performance. Il s’inquiétait pour lui, et la puissance des affects était décuplée par l’épuisement. Chaque décharge neurohormonale le propulsait dans les étoiles, l’impression d’être baladé dans un flipper cosmique. Il immobilisa la main entre leurs visages, et le pouce et le majeur rejoignirent l’index : « Combien de doigts ? » demanda-t-il très sérieusement. Puis un crissement de nez lui échappa, et il laissa retomber son avant-bras sur sa cuisse, effondrant la tête et les épaules, sa carcasse colossale prise de secousses, tandis qu’il essuyait un accès d’hilarité. « Pardon, putain, c’est nerveux », lâcha-t-il en se redressant, le coude par-dessus l’épaule tandis qu’il se frottait machinalement la nuque jusqu’au sommet du crâne. Il était incapable de résorber l’immense sourire, déplacé, qui incendiait son visage, sous ses yeux rougis, humides de larmes physiologiques, et autres. Pourvu qu'il ne voie rien. * Ils n’étaient pas les seuls à veiller à cette heure. Murugan ne trouvait pas le sommeil en dépit de l’épreuve et de l’épuisement partagé. Il attendait que Vlad se mette à ronfler, en retard sur Iann et son nez pété. Comment pourrait-il dormir à nouveau ? Il n’attendrait pas un jour de plus, pas une heure de plus. Il voulait savoir, lui aussi, ce qui s’était passé. Comment son frère était mort. Comment sa tête avait fini dans les bras de Kraïevski. Pourquoi lui. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Ven 22 Juin - 1:11 La voix du lieutenant lui parvenait toujours, fort heureusement, bien que lointaine lui semblait-il. Car oui, Daniil était ailleurs. Là et pourtant loin à la fois. Alexandre ne l’abandonnait pas, comprit-il avec fort soulagement, son soupir accompagnant celui de son ami. Il ne le touchait pas ; sa main toujours en suspens, effroyablement plus violente que le tableau que lui offrait Stena. Parce qu’il n’était pas en contrôle. Un acquiescement de tête venait répondre à ce que le lieutenant venait de comprendre. Oui, cette chose se produisait encore, à l’instant, quoique moins vive que les dernières fois. Peut-être était-ce dû à l’équilibre des températures ; il n’en savait rien et ne pouvait y réfléchir maintenant. Ses yeux suivaient la main en soudain mouvement devant lui, tel la lampe-stylo des médecins d’antan. Sauf que celle-ci n’éclairait point et semblait plus se rapprocher d’un coulis involontaire, de pots de peinture échappées. Oui, tout allait bien ; il pouvait correctement déceler le doigt en voyage horizontal devant lui, bien que l'exercice lui soit plus difficile lorsque l’index se trouvait devant la masse difforme d’Alexandre ; les couleurs se confondant l’une l’autre, comme si sa perception des niveaux se trouvait altérée elle aussi. Une semaine. Daniil fronça les sourcils à nouveau, perdant la concentration qu’il portait jusqu’alors au doigt du lieutenant. Une semaine… Ça lui semblait pourtant avoir été plus long que cela. Et à la fois bien plus court. Une semaine. Ce marqueur de temps le dérangeait. Si Yuriy était là.Sa main retombait enfin, posant les deux au bord du lit, les poings serrés. Si Yuriy était là, oui. Mais il n’était plus là, non. Et ça, c’était leurs fautes à tous. Il ne savait masquer la haine que cet état de fait éveillait en lui, comme il n’avait su en dissimuler la naissance lorsque tomba net l’interdiction. Ils avaient sans doute tous pu voir aisément, lors de l’interrogatoire, la retenue immense dont il fit preuve pour rester respectueux de son rang et de sa hiérarchie. Quand bien même savait-il qu’y retourner relevait du suicide. Ça ne dura pourtant qu’un temps. L’espace d’un battement d’aile, tout simplement. La colère retombait, soufflée par le volcan bleuté en éruption où de fins traits violacé naissait en autant de cendre liquide. Qu’était-ce ? Parviendrait-il un jour à décrypter ces schémas étrange et hypnotisant ? L’espoir, la volonté d’y croire, l'inquiétude, la peur. Daniil ne pouvait savoir, rien qu’en regardant la flaque d’huile s’animant sous ses yeux, qu’il s’agissait de cela. Pourtant, la saisit de l’évidence se trouvait là où la connaissance de l’autre siégeait : il connaissait Alexandre Prokhorenko et le tableau animé que celui-ci lui offrait, venait lui prouver une fois de plus que l’homme ne le jetterait point aux lions. Enfin, un sourire naquit sur son propre visage ; en coin, discret, timide presque. Mais bel et bien là. Il se racla la gorge. “Oui… Mais il y a certains visages qui me sont précieux de voir tel qu’ils sont en réalité.”Incertain d’avoir parlé suffisamment fort pour être entendu, ne réalisant pas réellement ses propres mots, comme si ça n’était qu’une pensée un peu trop fortement imposée à son esprit et qui n’aurait jamais franchis les frontières. Il leva une main, singeant son homologue, les yeux rivés, accrochés au blanc néon qui emplissait l’espace du regard d’Alex au moment où l’autre se trouvait aux prise d’un fou rire incontrôlé et probablement incontrôlable. Le lieutenant n’était plus qu’alors, une masse informe rougeoyante, de blanc parsemé. De jaune et d’orange également. Il ne vit pas les larmes sur le visage de Sasha, pas plus qu’il ne parvenait à déceler l’or de son regard ou la teinte de sa peau. Il vit un morceau de bras, devinant le geste, comme une pâte visqueuse en étirement. Et quelques traits ci et là au bas du visage. Probablement ceux d’un sourire, au vu de l’hilarité qui venait de passer. Le médic baissa les yeux, ses paupières s’affaissant à mi-chemin entre l’abandon et la douceur et le bruissement des draps vint trahir son mouvement. Car cette fois, il se leva. Sans gestes brusques aucuns, tout en finesse et sans redresser complètement le dos ; donnant plutôt l’impression de plonger au ralentit, allant droit vers le mur. Ou n’était-ce lui qui se pensait telle une mécanique au moteur rouillé, arrivant à la fin de vie d’une vieille batterie. La droite se refermait, sans force, au bras levé devant lui et la gauche, effleurant à peine le visage de l’autre, parcouru le cou jusqu’à la nuque pour s’y reposer puis s’y refermer avec fermeté. Enfin, son front allait à la rencontre de celui d’Alexandre ; toujours en contrôle bien qu’à la limite d’une pente raide. Car la sensation de chaleur était toujours là, bien présente, et ne fallait plus qu’un changement infime pour le brûler vif. “Trois levés. Deux couchés.” Ça n’était là que la réponse à la question posée : ‘Combien de doigts ?’ bien que l’interprétation pouvait être toute autre. Pourquoi se trouvait-il là, déjà ? Contre lui, de la sorte. Il ne s’en souvenait pas. Pour lui faire savoir qu’il pouvait être précis malgré tout ? Pour lui apporter un soutien, aussi infime soit-il ? Ou bien parce qu’une seconde durant, il avait dérapé et qu’il était trop tard pour se rattraper ? “Je suis désolé.”Mais il ne demandait point ‘pardon’. Que ce fût pour ce qu’il était, pour ce qui avait engendré la mort de Marko, pour l’abandon de Yuriy ou pour son actuelle position. Et dans sa cage thoracique, son coeur ne s’était point atténué. Il voulut ajouter quelque chose, chercha ses mots, mais ne souffla que le diminutif, affectueux, de son vieil ami. |
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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Ven 22 Juin - 13:36 Etaient-ils tous voués à manifester, tôt ou tard, d’étranges symptômes, d’être la proie de mutations incontrôlées, aux mépris des lois de la biologie évolutionnaire ? A moins qu’ils n’y fussent en plein dedans. Une évolution, déclenchée pour la survie en environnement contre-nature, une intégration de changements adaptatifs, épigénétiques, résultant en une mutation génétique. Mais qu’était Daniil ? Un agent dormant de la créature ? La sensation d’invasion résiduelle, d’une présence homonculaire tapie dans les circonvolution grises… S’était estompée. Alors que faire de lui, que faire de Kraïevski ? Les solutions les plus évidentes étaient pourtant les plus simples. Mais en étant de déprivation de sommeil chronique, la moindre décision prenait des airs d’alpinisme mental de l’extrême. Anna saurait, espérait-il, le mésocortex enguirlandé comme un sapin de Noël. De l’entrainement pour maitriser ces visions, dans le meilleurs des cas, s’il s’agissait bien d’une faculté et non pas d’une dégénérescence, d’un psychose démentielle ou d’une démence psychotique. « Oh, bon dieu », avait-il lâché dans le fou rire, l’allusion contenue dans le propos anodin allumant tout juste la lumière, un rayon trouble de phosphorescence dans le goudron mental de l’inquiétude. Eh bien, Dania, on peut être aveugle même avec une vision nette, se retint-il tout juste de répliquer, l’autoflagellation n’ayant définitivement rien de bon. Le craquage menaçait depuis quelques secondes, et la nervosité sourdait ça et là sur son visage, tics épidermiques et accélération cardiaque, jusqu’à la fissuration complète sous pression. Hilarité nerveuse, sursaut épileptique préfigurant l’arrêt du système complet, larmes silencieuses, s’effondrer et dormir d’un sommeil de plomb et enfin pouvoir réfléchir. Un mouvement agile et soudain. « Wow… » Il s’enfonça dans son assise, les dorsaux dépassant du dossier trop frêle, ayant tout juste le temps d’écarquiller les yeux, captant le regard, toujours perturbant, qui voyait sans voir. Le vif argent tirait dans ses orbites au jugé, lui semblait-il. Le contact du gant refermé à son épaule, et la main nue qui se ne contenta pas de le profiler cette fois, mais qui le touchait pour venir se refermer à sa nuque. Homéostasie. Daniil n’était pas brulant, il n’avait pas de fièvre non plus, eut-il le loisir de constater, dans l’étreinte à laquelle le soldat le soumettait. Et alors champion, qu’est-ce que ça nous dit ? Allez, fais un putain d’effort, pour ton ami ! Peine perdue, il se savait complètement foutu. Avant qu’il ne s’en soit aperçu, ses mains s’étaient refermées au niveau des biceps du mutant, sans qu’il n’y mît de force excessive, et il ferma les yeux un instant, ou quelques secondes, perdant la notion du temps. « Hein ? » Trois survivants, deux morts, avant que n’arrivent les renforts.Alexandre allait protester mais n’en eut pas la force, le temps seul et un sommeil réparateur aideraient Daniil à dérailler du nœud gordien de la comorbidité. Accepter d’être vivant. Le syndrome du survivant. Et la culpabilité, encore, inexorable, qu’il ne pouvait s’empêcher de lui exprimer. La vigueur de son empoigne se raffermit tandis qu’il s’apprêtait à se redresser, poussant contre le front de son ami tout en secouant lentement la tête, les yeux fortement fermés, le visage froissé de contrariété. Puis il se leva lentement, prolongeant l’étreinte en déployant l’étau autour des épaules du kshatriya, en un long roulis, jusqu’à lui envelopper la tête avec les avant-bras. Son nez croisa le sien, sa mâchoire glabre glissa contre la sienne, jusqu’à sa tempe, et il tourna la tête, pour venir appuyer ses lèvres contre le crâne ras, au-dessus de l’oreille. Il aurait pu s’endormir tel quel et sans le lâcher, tenant debout par les poussées contraires de leur effondrement, astre fossile et astre incandescent bombardés l’un contre l’autre, en imbrication contre-nature. Les reliefs et les ravines de son torse s’imbriquaient contre le sien avec autant de douceur qu’un escarpement de faille sur un cratère d’impact, tels Inverness corona replié sur Verona rupes en Miranda, l’astre rapiécé. « Pas autant qu’moi. » Un murmure braque contre le cartilage de l’oreille, une réponse étendue à des niveaux cosmogoniques. « Tu vas te battre, on va s’entrainer à… » Il ne parvenait plus à ouvrir les yeux, ses paupières étaient infiniment lourdes. « … à contrôler. » A dormir.* L’artilleur avait échappé à ses chaperons et n’avait qu’un couloir à traverser pour rejoindre les quartiers, un bien grand mot, du lieutenant. Localisé dans l’aile dortoir, le logement était à l’angle du corridor, mitoyen à un réduit logistique. Mais si la discrétion était possible, l’isolement n’existait pas plus à Arbatskaya que partout ailleurs dans le métro. Il croisa le benjamin du groupe qui rentrait à peine au bercail, l’air penaud. Ranvir pointa les deux index en sa direction et Léo leva les mains en l'air en signe d’innocence. Quelques instants plus tard, l’indien s’apprêtait à frapper le code mémorisé pour signaler sa présence. Il espérait que Stena n’ait toujours pas sombré dans le coma : d’ailleurs il avait parfaitement remarqué le manège de Schrödinger. Il n’était pas le seul à avoir épuisé sa patience. Sauf que l’un avait besoin de déballer, et l’autre, d’entendre. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Ven 22 Juin - 16:59 Chaleur. Brûlante, comme les flammes d’un feu de camps que l’on dresse pour se réchauffer la nuit lorsque nul étreinte n’est possible et qui nous hypnotise jusqu’à rester là, assis à les fixer du regard comme s’il s’agissait d’un soudain de la plus belle chose existante sur Terre, en attendant le levé d’un jour que plus personne ne pouvait admirer autrement que sur les aiguilles d’un cadran à l’information invérifiable.
Chaleur. Insupportable, comme l’explosion d'une bulle de gaz traversée par les balles qui d’un soudain, pénètre violemment dans un tunnel en menaçant d’exterminer toute vie s’y trouvant malencontreusement, à l’image d’un tank propulsé à la nitro et rayant les parois sans compassion aucune pour s’éteindre finalement en un jet puissant de brume chaude et de vapeur sèche.
Chaleur. Douce, comme le contact d’une main tout contre une joue, qui se veut geste rassurant et porteur de confiance. Comme la dernière étreinte qui scella à jamais les amants de Pompeï, emportant leur secret avec eux jusqu’à la nuit des temps, faisant tourner en rond les plus imminents chercheurs. Douce, oui. Tant et si bien que l’on s’y laisserait brûler à force de ne point arriver à s’en détacher, cherchant toujours plus à s’y coller jusqu’à s’en imprégner, à s’y mêler et à s’y fondre.
Douce, comme le sommeil qui se montre enfin avec ses présages tant attendu d’un repos vrai, d’un repos sans ténèbres, de celui que l’on ne trouve qu’en s’abandonnant dans les bras d’un autre comme si ‘demain’ existait d’un certain.
Comme le souffle, porté par la voix, d’Alexandre inversant la balance, basculant l’équilibre ou l’ajustant alors et le forçant à le relâcher, pour mieux s'agripper à lui et à son vêtement, là, juste au niveau de la taille.
“On”, avait-il dit. “On” ? Ou bien était-ce son esprit qui achevait de perdre le sens des réalités ? Non, il avait bien dit ‘On’. Comme une unité, telle une équipe. Tels des frères bien plus significatifs que ceux dont le sang coulait du même arbre.
”Oui… D’accord.” Eut-il tout juste la présence d’esprit de murmurer contre le col de son ami.
Et il aurait souhaité rester là. Que se produise une éruption volcanique telle que fit le Vésuve en l’an 79, figeant toute une ville entière dans le temps pour que témoigne des siècles plus tard, ces statues humaines porteuses de bien des histoires.
Dormir. Le pourrait-il cette fois ? Couvert des bras de Stena, s’appuyant sans force contre lui et lui inversement, il y croyait. Les yeux qu’il avait écarquillés sous l’approche du lieutenant et sous le souffle à son oreille tout comme au contact des lèvres à sa tempe, se baissaient enfin alors que les spectres colorimétriques se tarissaient ; lui offrant une vue comme deux photo superposées, se mélangeant l’une et l’autre.
Il était littéralement à deux doigts de s’évanouir d’épuisement, lorsqu’une silhouette aux allures aussi chaude que froide -contraste saisissant autant qu’intéressant-, sembla s’être téléportée devant ce qui devait être la porte de la chambre. Mais entre deux mondes, le médic n’aurait pas le temps de transmettre l’information, que des coups résonnaient dans la pièce ; achevant de le réveiller d’un brutal qui remit à feu sa vision des choses. Et il se crispa contre Alexandre, les jointures blanchis, et le coeur en marathon sous le coup de stress provoqué à sa conscience et à son organisme. |
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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Ven 22 Juin - 22:10 Les coups résonnèrent sous son crâne en une vibration désagréable. Une impression de déjà vu qui l’arrachait encore une fois au sommeil. Un sombre et une mutation, des histoires à dormir debout et à s’effondrer sans que tomber ne fût permis. Il refit surface en urgence, un mort revenant à la vie par une aspiration d’air étouffante et en un brusque sursaut. « Groupe deux », grommela-t-il à l’attention du kshatriya sans donner plus ample explication. Le motif rythmique était évidemment un code. Il se détacha lentement de Daniil, cillant à plusieurs reprises, les yeux collés et embués, jusqu’à pouvoir discerner son regard. « C’est revenu. » Constat amèrement articulé Ou ça n’était jamais parti. Sa poigne glissa sur le bras du soldat, geste de réconfort à son attention autant que pour son propre appuis, l’empêchant de tout bonnement se ramasser par terre.
Forcé au mode veille, il tourna la tête en direction de la porte avec l’agilité et la vivacité d’un narcoleptique, et se dirigea au radar. « T’inquiète pas », eut-il la présence d’esprit de lui dire, sans toutefois développer le fond diffus de sa pensée. Viktor, Oksie, Iann, Léo, Vlad, Yegor et Ranvir seraient mis dans le secret. Le kombat médic ne devrait pas être cantonné avec d’autre unités tant qu’ils n’en savaient pas plus sur sa condition. Et merde. Tout cela, Alexandre n’aurait voulu y penser qu’au lendemain, après avoir récupéré un minimum. Il devrait aller trouver Lobatchevsky et lui expliquer la situation. Encore un truc qui allait plaire aux éclaireurs. La polémique était aussi prévisible qu’un agglutinement de brahmanes à la station Lénine au retour des stalkers. De quoi le réveiller pour les minutes qui suivraient.
« Raj », bailla-t-il en entrouvrant la porte, devinant l’identité avant confirmation du visuel, « entre. » Il renonça à servir une introduction préalable à la situation. L’indien passa d’abord la tête, puis le haut du corps, obligé de forcer son chemin puisque le lieutenant s’appuyait toujours contre le battant. « Oh, Schrödinger », dit-il sans surprise, se baissant aussitôt pour quitter ses godillots. Gratifié du sommeil des justes, il était plus vif que les deux autres, en dépit du deuil. « Qu’est ce qui se passe ? » Il bloquait sur Kraïevski et son air ahuri. « Ce qui s’est passé là-bas », répliqua immédiatement Alexandre, tandis que l’indien s’approchait du médic, les sourcils froncés et le regard scrutateur. L’état perché, le regard autistique ne lui avaient échappés. Il interrogea le lieutenant d’un coup d’œil incertain, haussant les épaules. Il a pété le fusible ?
Stena ferma les yeux et poussa un profond soupir, pour les rouvrir en un regard aussi claqué que déterminé. Il se lança, le timbre de voix granuleux, l’articulation engourdie. « Pendant les premières vagues d’attaques psioniques, lors de notre offensive… de notre repli, Daniil s’est découvert une faculté qu’il n’avait jamais manifesté avant. » Un parti pris, le choix de croire. C’était le chef du Vympel à l’œuvre et en pleine improvisation de Pravda à 2:40 AM, produisant une narration unificatrice dans un seul but : le renforcement de la cohésion, le colmatage de la fuite de confiance entre les deux soldats qui se faisaient maintenant face. « Ça n’est pas totalement sous contrôle, mais on va y travailler. » Il le fixait d’un air impassible, les poings sur les hanches, en déséquilibre et ramassé sur lui-même. Un colosse ébranlé qui tenait toujours debout. Seule la fatigue extrême se lisait sur ses traits. L’attention dégoupillée de Ranvir passait de l’un à l’autre, prête à sauter, incertaine quant au choix de la cible. Prévenant l’explosion, Stena ajouta : « Déclenchée par cette fichue créature. »
Ranvir avait croisé les bras, l'air pensif et les traits froissés d’une contrariété quasi douloureuse. Il se bouffait la lèvre inférieure et semblait mener un monologue intérieur. « Hm. » Plusieurs hochements de tête machinaux en guise d’accusé de réception. Il processait l’information, avalait la pilule, difficilement. Puis il décroisa les bras, les poings toujours serrés et ferma les yeux en se dégourdissant la nuque d’un mouvement de tête quasi reptilien. Une grande inspiration, bruyante, dans le silence de la pièce. Alexandre se taisait et laissait la pâte prendre, psicélium sémantique, le don du sens. L’acceptation. Dans le marasme informulé et le goudron mental, les toxines et les déchets agglutinés dans l’interstice synaptique, il saisissait encore ce qui se passait, entre le trait-plat et le nirvana.
L’artilleur fonça à grands pas sur le kombat médic, deux enjambées suffirent à le porter devant lui. Il se mordit nerveusement le gras du pouce, la tête baissée sous le menton du roux, l’appréhension du lieutenant rivée dans le dos. Les yeux adamantins, les traits durs, sévères et amaigris par la perte de son ami, Raj allait se montrer difficile à gérer, les jours à venir. Le sauvetage d’un réacteur nucléaire, après le passage d’un tsunami.
« Toi », annonça-t-il, sec et solennel, tout en le désignant du doigt, il serra les jointures et tapa avec force retenue dans le plexus du mutant, laissant rebondir son poing à plusieurs reprises, comme s’il y déchargeait un trop plein de colère à chaque percussion. Sa mandibule saillait en angle aigu tant il serrait les dents. « T’es vivant, tu vas te sortir les doigts du cul et valoir son sacrifice ! » « Langage, soldat ! » Un rugissement qui ne tint compte d’aucun voisinage cette fois. Stena se rapprocha à pas de golem, Ranvir fit un pas de recul et leva les avant-bras, en un signe de coopération, une longue mimique platement étirée sur le visage.
« C’est bon. » Prompt à rassembler les pièces absentes au puzzle de sa représentation, l’indien imaginait et se rejouait depuis un bon moment déjà, la scène manquante. Il n’avait pas visé loin. Mais l’ingrédient mystère, révélé à l’instant, le soulageait tout en le privant d’un réceptacle à sa colère. Personne à maudire, personne à détester pour la mort de Marko, le feu de hargne ne trouvait qu’un lit de cendres, le menaçant de combustion spontanée. Il fallait qu’il digère, qu’il reconfigure son tableau. Car lui aussi était en vie. Le sombre, créature de malheur. Voilà sur quoi canaliser son énergie. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Sam 23 Juin - 3:27 Oui, c’était en effet revenu. Fort heureusement que la poigne glissa contre lui plutôt que de s’effacer d’un soudain, car sur le moment, Daniil avait oublié à quoi lui servait une colonne vertébrale et avait presque envie de chercher un placard pour s’y cacher. Qu’on ne le voit pas dans cet état.
Ne pas s’inquiéter ? Comment pouvait-il ne pas s'inquiéter, alors qu’une bombe était sur le point d’exploser dans la porte ? Il ne pouvait lui en vouloir : Alexandre ignorait à quel point le rassemblement des deux corps chauds, augmentait la charge qui lui tombait sur les épaules. ‘Raj’. Alors c’était bien lui, cette silhouette dont la couleur tirait de plus en plus sur l’orange et le rouge, au fur et à mesure qu’il pénétrait l’antre du lieutenant.
Le surnom fendait l’air sans intonation, impossible pour lui de savoir sur le moment s’il était porteur de mauvais présage ou d’habitude simplement. Mais quelque chose lui disait que tout cela, n’était pas bon. Il ouvrit la bouche, l’intention de répondre ou tout du moins, de chercher quoi répondre, mais - fort heureusement - Alexandre le devança. En y allant franc jeu.
Voilà ; sa tête sur un piquet, ça pouvait avoir son charme sous un certain angle, songea-t-il sans aucun amusement. Car Murugan souffrait plus qu’aucun d’entre eux et Daniil pouvait sans mal l’imaginer. Perdre un frère faisait mal. La disparition d’un ami était terrible. La mort d’un amant, indescriptible. Perdre les trois à la fois, aurait pu rendre fou n’importe qui. Et plus encore, quand seul le silence tenait lieu de réponse à tant de questions. Alors oui, Raj avait de bonne raison de vouloir sa tête sur un piquet ou de vouloir le faire frire. Les deux à la fois, peut-être. Il le comprendrait.
Les pupilles de ses yeux se trouvaient dilatées par la vue d’ensemble qu’il avait sur son environnement, incapable de se fixer sur un point ou une zone fraîche. Car les feux remuaient encore et il devina l’approche de Ranvir sans toutefois parvenir à calculer la distance exacte. Il devrait apprendre, oui. Et au plus tôt, car il n’avait pour le moment nullement l’intention de manquer à son devoir indéfiniment.
Il le vit, visage vers lui, de rouge et de blanc toujours, au point de lui en faire presque plisser les yeux comme pour se protéger d’une lumière trop vive, mais il ne broncha pas. Tout comme il le vit tourner la tête vers le lieutenant, en ce qu’il vit une rotation et un changement de couleur et d’intensité.
En toutes autres circonstances, il aurait pu admirer - une fois encore -, la maîtrise dont faisait preuve Stena ; le mur, infranchissable et aussi solide que la muraille de Chine, en pareille situation et avec aussi peu de sommeil dans le corps. Puis le silence retomba alors qu’à son contraire, les vagues de chaleur qui s’échouaient contre lui, semblait se multiplier de manière bien inégale.
Il choisit de baisser la tête, concentrant son attention sur ses propres mains, alors que l’artilleur ne brisait le silence que par quelques sonorités retenues et en vint à passer l’index sur sa paume à nue. Il avait donc perdu un gant, quelque part au courant de l’entretien. Et sa peau lui brûla plus fortement à cet instant. Néanmoins, le médic n’eût pas la chance d’en comprendre le constat, que la sphère rougeoyante dans laquelle évoluait les deux hommes, se scinda en deux.
Alors il releva la tête, redressant le dos pour accueillir Raj devant lui, le coeur battant toujours son propre tempo furieusement déréglé. Il aurait voulu pouvoir y voir avec plus de netteté, lorsque son vis-à-vis leva une main au visage. Il aurait voulu pouvoir le regarder droit dans les yeux et lui faire passer ce message silencieux, de compréhension. Il vit pourtant cette main avec plus de clarté dans les rougeoiements ; le souffle chaud de Ranvir s’y échouant fatalement. Et le premier coup partit.
C’était comme si l’on venait de le ferrer, au sens propre du terme. Comme si l’on venait d'apposer sur sa chair, un fer trop longtemps laissé dans les braises. Ça lui coupa le souffle, l’obligeant à se mordre la lèvre inférieure pour ne pas broncher de trop. Il savait pourtant que le coup en lui-même n’avait pas été porté à pleine puissance. Non, si Ranvir avait réellement voulu le blesser, fort à parier que le médic se serait fait empaler. Et non pas de la plus plaisante des manières.
Bien sûr, qu’il ferait tout ce qu’il pouvait, pour que le sacrifice de Marko ne soit pas vain. Et chaque jour de sa vie, se promit-il, incapable de discerner l’expression faciale de Raj, rappeler à l’ordre par une voix puissante qui l’aurait fait sursauter ou répliquer, si ça n’avait pas été le lieutenant et s’il n’avait pas été en train de retirer le haut de son uniforme composé de plus d’une couche, là, légèrement en retrait, déplacé d’un pas rapide et oublieux de son environnement.
Il y avait tant de choses à répondre, tant de répartie à l’humour douteux qu’il aurait pu trouvé à partager, et tant de phénomènes à comprendre et assimiler. S’il n’avait point été sur le moment, jeté dans les flammes de l’enfer. Littéralement. Car tout lui brûlait. Peut-être qu’à l’occasion, trouverait-il le moment adéquat pour faire savoir que Raj, fidèle à son surnom, était bien plus chaud qu’Alexandre.
Sans doute aurait-il l’air plus haut perché encore, à observer son dernier shirt qu’il tenait en main, la respiration lui soulevant le torse comme après un exercice trop important et l’épiderme luisant sous une couche de sueur naissante. Les yeux écarquillés, il ouvrit grand les mains et les doigts en se redressant sensiblement sur la pointe des pieds ; toujours ancré à ce tissu qui rejoignait le tapis.
Ce qui lui parut éternité, ne dura en réalité qu’un court laps de temps. Là, figé dans sa position, déconcentré de ce qui accaparait toute son attention quelques minutes plus tôt, Daniil pris conscience d’une chose : l’étendue du phénomène dont il était la proie. Car sa vision ne connaissait plus d’obstacle que sur la distance et s’illumina alors comme un sapin de noël en plein festival de la fierté gay, tous les khsatriyas des environs.
Combien étaient-ils dans la zone dortoir ? Les forces armées formaient des boules de trois ou quatre corps, éparpillé ci et là mais, bien cordée. Certaines se trouvaient allongées au sol, d’autre en hauteur. Daniil reposait les pieds correctement au sol, comme attiré par un nouveau centre de gravité. Certains soldats remuaient bien plus que d’autres dans leurs sommeils. Dans certaines chambres, le nombre était plus grand et dans d’autres, plus petit. Il repéra sans le vouloir, deux silhouettes en mouvement bien plus vives que toutes les autres. Incapable de se concentrer, il ne sut pourquoi. Tout ce qu’il percevait, c’était des silhouettes difformes, allant d’un violet-marin au rouge sans nom.
Ses talons venaient de toucher le sol, puis se furent au tour de ses genoux et de ses paumes. Il ne contrôlait absolument rien. La douleur était immense, indescriptible. Le front sur le tapis, le médic croisait les bras autour de sa taille et la bouche ouverte, haletait d’une plainte sans voix. Il portait toujours l’un de ses gants ainsi que le bas de son uniforme décoré d’une ceinture tactique et le moindre contact, celui du sol également, étaient autant de point d’impact à ce qu’il ressentait. Il avait beau fermer les yeux, rien n’y changeait et ses paupières s’ouvraient, s’écarquillaient sous une expression de martyr à la hauteur de ce qu’il ressentait. Il jurait vivre une expérience de bûcher, décuplée encore et encore.
Ce fut la première fois que le médic souhaita mourir sur-le-champs, pour que tout s’arrête.
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Lieutenant-instructeur, chef de section du Bastion Vympel PasseportAge :: 32Patronyme :: NikitovitchSurnom :: Stena | Dim 24 Juin - 10:38 A peine Murugan avait-il levé les mains qu’il les laissa mollement retomber le long du corps, éberlué et roulant de gros yeux devant la précipitation de Kraïevski à se dévêtir sur le champ. « Mais qu’est-ce qu’il fout ? » glapit-il en prenant son supérieur à témoin, les bras théâtralement tendus vers le médic, « Stena, qu’est-ce qu’il putain de fout ?! » Ses chuchotis étaient si énervés qu’il paraissait crier. L’incompréhension, l’étrangeté d’une situation improbable sur un terrain incongru, et faisant suite à un évènement bouleversant. Etre prêt à tout, même à l’absurde. « Eloigne-toi », recommanda-t-il, l’air complètement dépassé, alors que l’indien avait déjà entamé un prudent retrait pour le rejoindre, au cas où la psychose était airborne. Alexandre avait observé la scène depuis l’approche de Ranvir et remarqué les changements d’ordre météorologique qui traversaient la figure de Daniil. Une tempête de merde à l’horizon de leur espace confiné, avait-il songé alors, et ils y étaient maintenant en plein dedans. Une nuit comme une autre, dans sa piaule, le bureau des dossiers classifiés et des secrets mal gardés. De la couleur, du désordre et de la folie, dans la nuit, la splendeur bleu-blanc spectrale et l’autoritarisme de la grande Polis.
Le focus de l’artilleur passa de l’un à l’autre avant de se verrouiller sur le lieutenant, solutionneur universel en laborieux travaux, comme s’il pût lui transmettre sa propre puissance de traitement par le simple effet de l’attention soutenue, et non le stresser un peu plus encore dans le procès. « Pas totalement sous contrôle, hein…» Petit commentaire du cru regretté aussitôt émit. Il fit mine de méditer sur ses actions. « C’est quand je l’ai touché, mais je n’ai pas tapé, juste toqué… » Alexandre l’interrompit en posant une main à son épaule et lui murmura des instructions à l’oreille. Il ne quittait pas Daniil des yeux, constatant l’étendue en expansion du problème. L’aliéné regardait au travers d’eux, sa tête tournant lentement pour balayer un champ de vision auquel ils n’avaient pas accès, le visage déformé par la douleur, la bouche ouverte, figée de stupeur. Un air d’expérience religieuse, ou de sublime, jugea-t-il dans le potage sémantique de l’épuisement, car le sublime ne se laisse entrapercevoir sans détruire une partie des sens et de la raison. Ses processus de décision n’étaient plus qu’un dégueulando de contenus mentaux, flous, s’amoncelant en strates molles dans la vase cérébrospinale de sa cervelle. Bientôt, il perdrait jusqu’à la notion du langage et serait plus proche de l’aliénation que le dément ici présent. Ou mutant, avec un peu de chance.
Ranvir opina du chef, comprenant manifestement où voulait en venir l’ainé. Plus ou moins. Et tandis que celui-ci contournait aussi largement que possible le kombat medic à terre, en direction du point d’eau du logement, il essaierait de lui faire regagner ses sens, tout en se tenant à distance. « Heh, Schraïevski, reviens, aide-nous à t’aider ! Décris ce que tu vois ! » Derrière eux le bruit d’un jet de pression mal calibré, suivit d’un écoulement régulier. L’ouverture d’un robinet de fortune, luxe incommensurable, temple poséidonien. Le lieutenant s’affairait à grands renforts d’éclaboussures, l’heure n’étant pas aux libations. « Ça à l’air d’être de la bonne… Heh ! Krödinger ! Reste avec nous, relève la tête ! » Mais c’était peine perdue, le médic se recroquevillait sur lui-même en origami, comme s’il cherchait à disparaitre. « Il se liquéfie, Stena, il doit être brulant ! » « Sans blague », marmonna-t-il platement sans ironie aucune, leur tournant toujours le dos. Il n’avait plus assez de processus cognitifs actifs pour produire de l’empathie. La deuxième serviette était complètement imbibée, trempe d’une eau fraiche. Les dortoirs étaient à nouveau privés de chauffe-eau et les réparations tardaient. Probablement des questions d’économies de ressources, énergie et retraitement de l’eau, car nul n’aimait s’attarder sous un jet glacial. Alexandre était en parfait accord avec cette politique. Lourdement repliés sur son avant-bras, les linges dégorgeaient leur surplus de liquide en un ruissellement continu au sol, et il s’avança en espérant ne pas aggraver les choses. Là n’était pas le meilleur moment pour réfléchir aux principes de la thermosensibilité et aux mécanismes de transduction, encore moins de les mettre en corrélation mystérieuse à une vision reptilienne présupposée, et définitivement pas dans son état de presque-mort cérébrale. Chaud, se rappelait-il, Daniil l’avait reluqué comme l’apparition du messie. Des couleurs dans le vivant. Et voilà maintenant qu’il ne supportait plus aucun contact, dépouillé à toute vitesse comme si son uniforme avait pris feu. Seul un très fort sentiment de pudeur, une auto-exigence inflexible, comprit-il, l’avait empêché de se retrouver à poils.
Il prit une immense respiration, jeta un coup d’œil à l’indien, et éleva le premier linge ruisselant au-dessus de la nuque du soldat, à l’affut de ses réactions. « Dania, c’est de l’eau, froide, OK ? » Le fait qu’il ne se soit pas mis à hurler ni à se rouler par terre lui parut un signe encourageant. Il apposa ensuite l’extrémité du linge et le laissa s’échouer progressivement le long des dorsaux, jusqu’au reins. Puis il le contourna d’une enjambé, de manière à lui faire face, posa à son tour un genoux au sol, et releva l’autre serviette trempée au-dessus de sa tête, avant de la rabattre lentement autour de ses épaules, recouvrant depuis le sommet du crâne roux jusqu’aux omoplates. Son regard était de sable viride, un vitrail vitreux, embué de sommeil et de morbides considérations, dépassant toute mesure dans sa cognition atrophiée. Mais il gardait les yeux ouverts et tentait d’accrocher l’acier trempé en contrebas. « J’veux pioncer, gars. C’est soit ça, soit je vais être obligé de te déclarer et les binoclards vont venir te chercher. » Tous trois savaient que telle était la procédure et en n’ayant pas signalé le soldat dès qu’il eût connaissance de son état, pire, persévérant à le retenir en pleine crise, Stena venait d’y faire entorse. Mais qui dénoncerait un frère ? Dénoncer ou sauver la vie, la frontière était souvent très mince, et en conscience de son jugement éteint, il avait suivi son instinct. Il attrapa le teeshirt du médic au sol et le lança à l'artilleur qui obtempéra aussitôt, préposé au maintien de la chaine du froid.
Tout en continuant de parler aussi clairement que possible, l’articulation de moins en moins détachée, Alexandre produisit à l’attention de Ranvir, le signe tactique d’approvisionnement en munitions. Ce dernier retira précautionneusement la première serviette du dos du cadet pour la remplacer tout aussi prudemment avec le tee-shirt imbibé de frais, et il opérerait encore deux allers-retours. « On va pas te trainer à la chambre froide… Tu comprends… faut traverser le réfectoire, et y’a… y’a Burov et ses gars sur le segment… et … qu’est-ce que je vais leur dire, merde ? Mettez-le-moi au frais quelques p’tites heures, j’repasse le chercher plus tard et… et… le premier qui fait une vanne de physique quantique je le butte ? » La tête lui tournait, il réalisa qu’il n’aurait peut-être pas dû s’agenouiller s’il avait l’intention de rester encore un peu éveillé. De fait il s’était machinalement laissé tomber en anza, les mains sur les cuisses et les coudes en angle droit extérieur. Son cargo et son tee-shirt étaient presque aussi détrempés que les linges recouvrant le mutant et il n'avait pas froid. Les tremblements étaient dus à l'épuisement, et l’échafaudage massif de sa position, flageolant, semblait redoutablement fragile. « Oh punaise, Dania, il a l’air foutrement confortable ce tapis plein de floque… de… flatte… » Un grognement onomatopéique lui tint lieu de conclusion. Il ne cessait de ciller, lentement, et les temps de paupières fermées s’allongeaient de plus en plus. Le visage du médic se dédoublait et il ne parvenait plus à le regarder en face. Une force gravitationnelle l’attirait irrésistiblement au sol, rien ne lui paraissait plus désirable de que s’étaler sur le tapis détrempé. |
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PasseportAge :: 30Patronyme :: IvanovitchSurnom :: | Dim 24 Juin - 23:13 Des fantômes aux couleurs capucine et carmin voir cerise, zébrés d’or et de jade. Tel était sa vision, encore. Dans un océan de cobalt et de pervenche.
Il percevait les sons, sans en comprendre totalement le sens, lorsque les deux hommes s’échangeaient quelques mots ; le tout lui paraissant diffus, entravé par le scillement que provoquait la douleur insupportable.
“Schraïevski”
Il tentait de se concentrer sur la silhouette qui lui parlait tandis qu'une autre s'éloignait.
“Décris.”
C'était Raj, comprit-il avec difficulté. Encore, il haletait. Encore, son cœur tambourinait au point de lui faire mal.
“Des formes, entama-t-il pour essayer de décrire le phénomène à son frère et de revenir s’ancrer à l'instant réel ; des chaleurs. Du bleu. Rouge. Ça brûle.”
C'était tout ce qu'il était en mesure de dire pour le moment. Plus loin, une flamme commençait à diminuer. L'intense rouge d'un bras passait subitement au violet, se répandant au reste du corps qui approchait, telle la gangrène remontant les tissus sains jusqu'à contaminer chaque cellule de l'organisme. Alors il s'y accrocha comme il le pouvait, poussé par un instinct en renaissance.
Les gouttes d'eau qui tombaient des serviettes lui paraissaient tel de la glu ou un monstre visqueux perdant une salive grasse en chemin. Une morve mauve et bleu, laissant une traînée derrière elle et répandant une flaque éphémère au sol.
Et cette chose le toucha. La réaction fut immédiate, bien qu'il ne hurla pas. Le regard soudainement dirigé vers la boule informe, franc et direct, Daniil recevait des signaux contraires. De l'eau. De l'eau fraîche sur un corps à température normal, mais dont le système nerveux se trouvait désorienté. Une vague de protéines chaperons se répandaient inutilement en lui.
Puis il reconnut la voix d’Alexandre dont le spectre de chaleur semblait moins important qu’auparavant. Oui, il savait le risque que prenait le lieutenant et maintenant aussi l’artilleur, en ne l'ayant pas dénoncé. Reprends toi. Avec lenteur, alors que Stena déposait sur lui les serviettes fraîches, il parvint à se tenir sur ses deux paumes à plat.
Ce fut au tour de Raj d'être de moins en moins chaud et de revenir avec un amas de pâte visqueuse. Un semblant de rire perça à un moment dans sa respiration, transparaissant sur les traits de son visage. ‘Le mettre au frais’. C’était à éviter en effet, pour plusieurs raisons d’ailleurs.
Peu à peu, les silhouettes moins chaudes à proximité aidant plus encore que les serviettes et la mare dans laquelle il semblait patauger, le médic parvint à discerner avec plus de forme ce qui l’entourait. L’occasion vint donc à se présenter, de remarquer la position devant laquelle il se trouvait et son épiderme à nue sous les couches de tissus frais s’horripila jusqu’à ses bras et ses poignets.
Ils avaient l’air fins, pouvait-il dès lors constater, la respiration en nage comme au retour d’un marathon pour lequel il n’avait pas été préparé. Un halo subsistait autour des corps chauds lorsqu’il put avertir les deux soldats d’un “Ça se calme.” Tout juste murmuré, l’impression de brusquement sortir d’un mauvais trip ou d’un cauchemar trop réaliste ; empêchant par la même à Murugan de faire un énième aller-retour.
Une claque. C’était un peu l’effet qu’avait eu cette première goutte, au final. La fatigue jouait probablement un rôle elle aussi dans le retour à la réalité, car observer le lieutenant en train de battre des cils assis dans la flotte et ruisselant, lui rappela à quel point il manquait de sommeil également.
“Raj”, appela-t-il sans force, une fois que le sol se rematerialisa correctement et que les murs reprirent leurs fonctions ; tendant une main vers l’artilleur pour demander un appui sur lequel se remettre sur ses pieds. L’échine courbée, le t-shirt trempé resta sans mal accroché à son dos et il le retira, incapable sur le moment de s’auto-critiquer pour l'état dans lequel il avait mis son uniforme.
“Putain.” Expira-t-il bassement, les mains tremblantes sous l'émotion vécue. C'était réel. Mais le retrait des spectres colorimétrique lui donnait une impression de surréalisme et il se demandait lui-même s'il n'était pas en train de perdre la tête.
Il avait besoin de s'asseoir au sec un instant pour s'en remettre adéquatement et Stena avait besoin d'être hissé sur le matelas. Avant quoi que ce soit, décida-t-il mentalement, choisissant de concentrer son esprit sur autre chose que ce qui l’effrayant pour l'instant. Mais encore, à l'image de la position dans laquelle l’Indien les avait tirés, le medic aurait tout aussi bien pu poser la tête contre Stena et s'endormir en faisant le balancier. Voilà pourquoi il s'était relevé, outre la position dérangeante dans laquelle il avait remarqué se trouver.
“Je suis désolé.” Marmonna-t-il à l'intention de Ranvir, lorsque celui-ci fut suffisamment proche et l'aidant à supporter le poids du lieutenant pour le mettre au lit, touchant Alexandre d'un léger coup d'épaule pour lui demander s'il pouvait se redresser et s'il était toujours vivant.
Désolé pour l'épisode et bien d'autres choses. Mais il se rattraperais et espérait que l’artilleur le comprendrais sans qu'il n'ai à le lui dire. Car les gestes comptaient souvent plus que les mots.
À son tour il pris place au bord du matelas, l'impression de peser une tonne ou deux et glissa un regard vers Stena. Ce fut la dernière chose qu'il eu conscience de voir avant que sa vision ne vacille et qu'il ne tombe dans le noir complet ; son corps heurtant la surface du matelas sans que le medic n'en ait connaissance. Il ignorait même si Raj se trouvait toujours dans la pièce ou s'il avait adressé quelques mots à l'un ou l'autre des deux hommes.
Trempé, le torse à nu et ses hauts éparpillés ci et là, Daniil s'était évanoui sous le manque crucial de sommeil réparateur. Sa conscience ne fit plus qu'un long trait plat, sans même lui offrir la chance unique de contempler le tableau dans lequel les deux hommes se retrouvaient côte à côte. Seul ses songes, peut-être, lui en donnerait une vague idée s'il lui était donné l'opportunité de rêver ou de s'en souvenir.
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