Masha vit dans une des fermes annexes à la station VDNKh, avec sa tante et son petit-frère. Sa journée consiste à se lever la première pour préparer un petit-déjeuner, aider là où ses petites mains sont le plus requises, notamment lorsque sa tante a un surplus de travail. Plus tard dans la matinée et à d'autres moments de la journée, Masha se propose pour s'occuper des enfants en bas-âge et permettre aux parents d'accorder leur attention ailleurs, ou encore pour différent travaux où ses compétences sont bienvenues. Lorsqu'il lui reste de l'énergie à la fin de la «journée», elle s'échappe loin du périmètre familial. Physiquement, il ne s'agit que des quelques centaines de mètres qui forment son monde : le périmètre de VDNKh, où tous les visages se connaissent au minima de vue. Elle n'a qu'à fouiller la station des yeux pour y repérer des têtes bien connues. Ce n'est pas avec ses jambes qu'elle s'évade, mais avec son esprit. « Bonjour ... » Elle détaille l'archiviste et surtout les livres qui l'entourent avec une avidité sans fond, insoumise et passionnée. « Je peux t'aider aujourd'hui ? »


Elle n'est pas très certaine de savoir exactement à quoi elle ressemble. Les miroirs sont rares et inexistants au sein de la ferme. Rien de bien original pour une enfant du métro : maigre, cheveux clairs, de ce blond qui s'effile et disparaît. Sales et surtout emmêlés. Elle se dit chaque jour qu'elle finira par tout couper, sans avoir jamais le courage de saisir les ciseaux. Mieux vaut rebrousser les mèches rebelles derrière ses oreilles ou se faire de ces semblants de tresses ébouriffées et disgracieuses, ou encore ces queues de cheval à moitié serrées mais si pratiques. Qu'est-ce-qui pourrait la différencier des autres ? Certainement pas ses yeux délavés. Des yeux clairs... Trop clairs. Peut-être azurs mais comment en être sûr quand le nuancier des couleurs qui nous entourent se limite aux teintes crasseuses et à la pénombre ? Peau pâle, qui n'a jamais rien vu d'autre que les lueurs rouges de la station et la clarté du feu. Son visage porte toujours des cernes de fatigues, noires, et des traces de saleté, surtout en fin de journée. La praticité avant l'apparence, quant à l'hygiène, elle préfère piétiner ses quelques excès de coquetteries et se contenter du minimum, comme tout le monde. Masha porte des habits rapiécés qu'elle préfère chauds et avec des poches. Un pantalon noir ainsi qu'un pull trop large par dessus une chemise grise, sous laquelle se dissimule une poitrine plate. Elle n'est pas assez grande pour se faire remarquer, ni assez petite pour attirer les regards. Ce status-quo lui convient parfaitement. Ses rêves ne visent pas la gloire humaine mais d'autres ambitions que son frère qualifie de stupides et sa tante de fantasques.


S'accrocher à un fantasme permet pourtant de se lever tous les matins avant tout le monde, et de trouver de l'énergie pour aller chercher de l'eau et de préparer un maigre encas à ramener à la ferme. Pour Masha, il s'agit de son imaginaire et des histoires qu'elle s'invente au sujet du monde d'en-haut et de leur futur, des rêves de voyages particulièrement irréalistes mais très alléchants. L'on trouvera toujours Masha au service des autres. Son empathie maladive la pousse à s'effacer devant ceux qu'elle rencontre et à rapporter toute son attention sur autrui. Cela lui permet de garder un certain détachement et d'éviter de se poser trop de questions. C'est simple, efficace, parfait pour étouffer ses sentiments propres qu'elle n'est ni sûre de comprendre ni de contrôler. Masha est une observatrice, qui prend un goût un peu voyeur à cette activité lucrative. Elle se force à sourire et apparaître bienveillante en présence des enfants, autrement son tempérament est stoïque et effacé. Masha possède une empathie sur-développée qu'elle apprend tout juste à maîtriser. C'est certainement une anomalie de voir ces fils invisibles qui émanent des autres, mais la mutation possède un côté fascinant, addictif, souvent cruel et violent. On le subit, et point. Existe-t-il un remède ou une façon de rendre la psyché suffisamment inhumaine pour lui éviter de ressentir ? Elle n'en sait rien et ne s'en préoccupe pas. Accepter et avancer, tout simplement, est un choix plus utile. A quelques exceptions prêts, Les enfants la font moins souffrir que les adultes, comme si en grandissant, l'âme se tachait d'un musc noir et horrifiant. Que pourrait-elle faire d'autre que de publiquement faire preuve de patience et d'écoute, en faisant bien attention de refouler tout le reste et de le garder pour les sombres et secrètes nuits d'angoisse ?  

Masha sait lire et écrire quelques mots, soit en phonétique, soit avec leur orthographe exacte. C'est un apprentissage de longue date qu'elle grappille à l'usure, sur le temps-libre de l'archiviste du V.A.R et des quelques autres personnes de sa connaissance qui ont possession de ce savoir. Elle accorde une obsession particulièrement insensée à la mémoire des histoires et de l'ancien mode et dédaigne les moqueries qui en résultent. Sa tante lui a transmis des bases en couture, et surtout en cuisine. Masha peut aider à la ferme pour cultiver les champignons, mais son manque évident d'intérêt pour cette activité la rend insipide dans son travail. Elle possède un vague souvenir de son père lui apprenant comment tenir une arme à feu et où frapper pour se dégager d'une étreinte. Seulement, la jeune fille tient inconsciemment à se tenir éloignée de toute forme de combat. Cela la rend incapable d'apprendre avec succès ce genre de compétences pourtant si utiles. Parfois, elle rigole toute seule en considérant ce rejet comme suicidaire. Que fera-t-elle une fois dans les tunnels qu'elle rêve tant de traverser ? Dix mètres et elle sera déjà morte. L'intensité naturelle d'un affrontement, ou l'appréhension d'une menace ne sont pas des émotions qu'elle est capable de traiter normalement. Elle se rabat sur ce qu'il reste d'autre de la vie du métro, tout le reste. Masha a une excellente mémoire visuelle qu'elle entraîne régulièrement sur des visages, des silhouettes ou des livres.


La plupart des possessions de Masha sont des affaires récupérées de ses parents. De son père, une veste treillis rembourrée, lourde et trop grande mais qui a le mérite d'avoir beaucoup de poches dans lesquelles sont glissés une paire de lunettes de soleil réparées avec de la ficelle, un couteau suisse aux lames rouillées, des gants en cuir, trois poulettes dans la poche interne, ainsi qu'une médaille orthodoxe de la vierge à l'enfant. Le toucher de la médaille contre ses doigts est agréable, Masha aime inventer diverses significations et utilités à cette image qu'elle tient de sa mère, sans en connaître l'origine. La veste est soigneusement posée sur le dossier de son unique chaise. Prête à être récupérée, pour quoi faire ? Partir ailleurs ? Encore l'une de ses fantaisies. Sur la chaise se cachent deux robes en laines bleues pliées de sa mère, qu'elle n'a jamais porté. Ces habits lui semblent puer la poisse et le sang gluant. Ils portent une odeur macabre. Peut-être devrait-elle les vendre ou les donner aux autres femmes de la station... Quoi d'autre ? Plié au dessus des habits maudits, une écharpe délavée qui fût verte dans un passé lointain et peut couvrir sa tête et ses épaules. Le tissu cache deux livres illustrés pour enfants. En dessous de la chaise, une paire de bottes grises de rechange, et posé au sol, un espèce de châle qu'elle essaye de coudre à partir de différentes pièces de tissus récupérés, morceaux qui s'empilent à côté de l’œuvre ratée. Sur son tabouret adjacent, une poêle, une cuillère et un couteau de cuisine au manche branlant qui lui servent régulièrement à faire à manger pour la famille. Sur son matelas, sous la couverture qui lui sert d'oreiller, une carte du métro déchirée dans le coin inférieur droit et tachée à divers endroits. Sous le matelas, deux autres cartouches et une boite en métal contenant une collection de pièces de monnaies, timbres, morceaux de publicités déchirées, capsules. Masha aime les objets qui ne servent à rien mais portent une histoire avec eux. Petite, sa principale préoccupation était de se procurer toutes ces choses sans valeur pour en faire des archives. Son oncle ou ses parents en ramenaient après voyages commerciaux et marchandages. Depuis, elle n'en a pas récupéré beaucoup. Les marchands de la V.A.R ne sont pas les mieux fournis pour ce genre de breloques.


Masha possède les mêmes carences alimentaires que les enfants de sa condition sociale et n'a jamais eu à subir de blessure grave, ni de maladie inquiétante pour sa survie. Elle s’essouffle rapidement et un surplus d'activité peut l'amener à avoir quelques vertiges. Son angoisse intérieur peut aussi l’amener à trembler dans certaines situations.


Masha aime la lecture. Elle a une fâcheuse tendance à vouloir collectionner tout et n'importe quoi. Elle aime se raconter des histoires, d'abord à elle-même, ensuite aux enfants. Si on lui offrait le choix, elle aimerait devenir sage-femme, ou mieux : une de ses institutrices des écoles de l'ancien-monde, qui n'ont plus lieu d'exister. Elle est fascinée par la légende de la Cité d’émeraude, qu'elle ne cesse de demander aux voyageurs, ou aux stalkers.  

Le visage de mon frère est rougi, fripé par le sommeil, les sourcils froncés sous une tignasse blonde et informe. Je fais une moue et sors :
— Tu ressembles à une grisette, Jenka.
En ce moment, il se prend pour un homme. J'aime bien le provoquer, c'est plus fort que moi. Il sait bien que ce n'est pas sérieux. C'est comme ça entre nous. Je le vois grandir à vue d’œil, sept ans, puis dix ans, puis douze ans. J'ai l'impression qu'il me rattrape, pourtant je resterai toujours l'aînée. Je le sais parce-que je le revois encore bébé. Il en a marre d'être pouponné, mais ma tante Sasha puis moi qui l’avons élevé, et visiblement ce n'est pas terminé encore. Je pousse un soupir et retiens un rire devant son air outré. Contrairement à lui, je garde encore un souvenir de nos parents. J'avais cinq ans passé lorsque les Sombres ont laissé leur première et dernière -espérons-le, macabre trace dans le métro. A l'époque, nous vivions plus au sud de la ligne, c'est ce qui nous a sauvé contrairement à mon oncle qui avait installé sa ferme à VDNKh. Je ne les ai plus jamais revu depuis ce moment, ni mon oncle, ni mon père qui était en visite chez lui pour aider. Peu après, ma mère a décidé de rejoindre sa sœur à la ferme, il fallait bien se serrer les coudes. Je crois qu'elle n'a jamais supporté la perte de son mari. Elle est morte quelques mois plus tard, une maladie. La vérité, c'est qu'elle s'est laissée mourir, je le sais parce-que je ressentais tout ce qu'elle ressentait. Je déteste ces souvenirs. J'essaye de ne pas les associer à Jenka, ce serait injustice pour lui. Notre tante Sasha, elle... C'est une battante. Elle m'impressionne. Je sais qu'être fort n'empêche pas de souffrir, au moins cela prouve-t-il que l'on peut se reconstruire au lieu d'abandonner.
— Et toi tu t'es vue ? Baba Yaga !
Tiens, Jenka a enfin trouvé une réplique digne de ce nom. Je hausse un sourcil.
Chut, espèce de taré. Si tu prononces son nom, elle va venir t'étouffer avec ses seins. Tiens, range les couvertures. Aujourd'hui, il va falloir que tu aides Sasha.


Un cri strident fait se retourner quelques têtes vers nous. Les enfants se battent au sujet d'une capsule de bière qui est en fière possession de l'un et pas des autres. Je prend un air grave et me penche vers le coupable pour lui chuchoter à l'oreille.  
— Leonya, si tu n'es pas sage, je vais appeler  Dyadya Jora. Un sourire terrifiant apparaît sur mes lèvres. Il va te raconter des histoires qui font tellement peur que tu ne pourras plus jamais dormir.

Puis je me relève avec un air complice.
— Fais voir qu'est-ce-que c'est ? Où tu as trouvé un trésor pareil ? Oh, c'est secret, bien sûr. On ne dira rien, motus et bouche cousue. Moi aussi, j'ai une boite au trésor. Demain, je vous l’amène. En attendant, un trésor pareil, il faut être plusieurs à le garder. Sinon, il risque de disparaître...  

Mes parents me ramenaient toujours des babioles après chacune de leurs absences. C'était un rituel particulier qui suivait leur retour. Chaque babiole avait une histoire que je prenais à l'époque pour vraie. Ce sont autant de contes que d'objets, que je raconte à mon tour sans cacher mon plaisir. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs d'eux. Cinq ans, c'est peu. Tout est dans la boite quasiment. Jenka les connait par cœur à force. Maintenant qu'il a grandi, il ne supporte plus ses fables. J'aimerai que les enfants restent enfants toute leur vie. Maintenant il veut être stalker et aller tuer des monstres... Je crois qu'ils se sont montés la tête entre eux au sujet d'une histoire racontée par un soldat de la station. Comme si ça, ce n'était pas aussi une fable. La vérité selon moi, c'est que si tu restes stalker trop longtemps, tu finis en mille morceaux, dans la tête. Je le vois parfois chez ceux qui sont de passage. L'être humain aime définitivement se battre, avec passion.

Je prend le plus jeune sur mes genoux.
— Tu as soif ? Oui, ta maman va bientôt revenir de l'endroit où on fabrique le thé. Ça aussi, c'est secret ! Bientôt tu seras assez grand pour travailler toi aussi. Maintenant, attention... Est-ce-que vous connaissez la légende des fantômes ?



Il fait nuit. Façon de parler. Je ne sais pas ce que c'est, la nuit. J'ai repris le chemin de la ferme, peut-être que Sasha a encore du travail. Ce serait mieux que je le fasse et qu'elle se repose. Mon regard dévie vers un amas de caisse empilée les unes sur les autres. Ce n'est pas leur contenu qui m'intéresse, mais le fait que sur l'une d'entre elle, est dessiné un petit motif déjà effacé par l'humidité, qui a accroché mon curieux regard. Je me penche pour inspecter de plus près la planche suspecte : il s'agit d'une main, ou alors d'une étoile à cinq branche très mal faite, noire ou rouge foncée, la lumière me permet difficilement de le dire et le symbole est en partie effacé.

▬ Age : Vieille !
▬ Avez-vous lu le règlement ? Chef, oui chef !
▬ Système de jeu choisi : Roulette russe, sans aucun doute.
▬ Surnom : « Ananas » pour les intimes.
▬ Passion, loisirs : Ces créatures diaboliques au pelage soyeux et aux oreilles triangulaires qui se plaisent en compagnie des humains, dont un qui vient de s'enfuir en courant avec un de mes tee-shirt dans la gueule. Sinon le jeu de rôle bien sûr.
▬ Comment avez vous découvert le forum ? J'ai demandé à Google.
▬ Des suggestions ? Quelque chose à dire ? Un dernier mot ? Vous êtes beaux ! Ça fait grave plaisir de retrouver des forums fournis et bien travaillés. Je suis espantée comme on dit chez nous !