Svetlana est une Brahmane ; élevée consciencieusement pour ce rôle il semble avoir était façonné pour elle. Elle ne prend pas beaucoup la parole au sein de sa propre communauté mais ses rares interventions sont grandement respectées par ses confrères malgré son jeune âge. Elle a été éduqué pour ça, comment pourrait-elle faillir à ce travail auquel elle a dédié sa vie entière ? N'ayant pas d'instinct particulier pour la diplomatie, elle travaille souvent en solitaire, le nez dans ses livres, exerçant sa pensée dans le but de la contrôler à la perfection. Quae misericordia ad plenitudinem pervenit per donum Spiritus, qui novam vitam gignit et postulat, cette miséricorde atteint sa plénitude par le don de l'Esprit, qui engendre la vie nouvelle et l'appelle.


Élancée et svelte, menue et discrète, Svetlana est pourvue d'une discrète et placide attitude passe-partout. Au milieu d'une foule ou dans une salle vide elle trouvera toujours le moyen de passer inaperçue, de s'abstraire de la lumière du regard des autres. Son visage légèrement hâlé est surplombé de deux grands yeux dorés qui dévorent tout sur leur passage et dans lesquels se lisent la curiosité sans faille de cette jeune savante. Une longue chevelure brune vient encadrer son joli minois et des pommettes saillantes le soulignent, révélant les fêlures et les failles qui habitent son âme. Fine et fragile, une petite brise serait capable de l'emporter si ses convictions ne l'enracinait pas aussi profondément dans le sol.



Froide, intransigeante, énigmatique, la jeune Svetlana est, à juste titre, surnommée сфинкс , le Sphinx, par ses complices Brahmanes ; Un Sphinx dans un corps de Sylphe. Malgré la jeunesse de ses traits, son esprit est bien plus vieux et sage que le commun des mortels qui grouillent dans les sinuosités du métro moscovite. Rares sont ceux qui ont déjà vu un sourire fleurir sur ses lèvres, ou une larme rouler sur sa joue ; rares sont ceux qui ont vu quelconque émotion effleurer la douceur glaciale de ce visage impassible. Elle parle peu et tous ses mots sont consciencieusement réfléchis, elle est dure avec les autres et encore plus avec elle-même. Elle ne pardonne pas facilement les erreurs de ses congénères, mais ne se pardonne, a contrario, jamais les siennes. Elle est semblable au vent algide et inhospitalier venu de Sibérie, polaire, cinglante et acerbe elle souffle avec éloquence sur les certitudes du monde.

Son seul talent est sans manifeste son cerveau. Dotée d'un QI supérieur à 150, son éducation fera d'elle un puits de science. En plus d'être d'une logique implacable, elle a travaillé sa mémoire et son esprit d'analyse pour atteindre un idéal d'intellect. Malheureusement, ses talents s'arrêtent aux lisières de sa cérébralité, en vérité elle est bien trop fragile pour s'aventurer au delà de Polis, ses capacités physiques laissant à désirer.


Voulant observer une vie religieusement austère, Svetlana n'a que très peu de possessions, elle possède un vieil exemple de "l'Ethique" de Spinoza et un roman du français Victor Hugo aux pages jaunies dont le titre même s'est effacé de la couverture. La plupart du temps, elle porte un pantalon de cuir noir et un pull de la même couleur, son sac à dos de cuir qu'elle ne quitte jamais comprend son journal de bord et une dague bon marché dont elle ne s'est jamais servi.


Ne sortant que très peu à l'extérieur, de sa station mais aussi de sa propre maison, Svetlana s'est pour l'instant préservée des différentes infections qui courent le long des tunnels sales et sombres du métro mais, n'étant jamais tombée malade, ses défenses immunitaires sont faibles et elle craint en secret le jour où le mal s'insinuera dans ses veines.


Rien ne fait vibrer Svetlana Aleksandrevna Ivankova, rien ne réchauffe son cœur mais la juste question à poser serait plutôt, a t-il vraiment besoin d'être réchauffer ? Elle ne ressent jamais de tristesse, ni de peur, n'est jamais en colère et encore moins heureuse. Elle se contente d'Être, le plus simplement possible, éliminant le mot désir de son vocabulaire ; si elle ne souhaitait rien, elle ne pouvait être déçue. Si elle ne désirait rien, elle ne pouvait ressentir le manque.

"Aleksandrovna Ivankova, sauf votre respect, qui m'est cher et que je tiens à préserver, je ne suis pas d'accord avec votre point de vue, nous ne pouvons faire l'erreur d'accorder notre précieuse confiance aux militaires, il nous faut accroître notre puissance ainsi que notre influence en tant qu'hommes et femmes de savoir. Nous sommes les dépositaires de la mémoire du monde, grâce à notre intelligence aiguisée par nos lectures et nos conversations nous serons les seuls à même d'appréhender le monde du Dehors si l'occasion se présente dans le futur. Les militaires, avec leurs armes et leur violence sont la raison de notre présence à tous sous les entrailles de cette terre que pour la plupart nous n'avons même pas connue et nous devrions leur faire confiance ? A eux ? Une nouvelle fois ? Alors que l'expérience de l'humanité nous indique qu'ils ne savent semer que le sang et les larmes ?"

Un murmure d'assentiments se fit entendre  dans la salle, les chuchotements se répercutant sur les étroits murs en brique pour atteindre les oreilles de la silencieuse Svetlana Aleksandra Ivankova. La jeune femme avait écouté le discours de son homologue avec attention, son regard mordoré attaché aux lèvres de son interlocuteur. Elle plus que quiconque comprenait ce discours et l'entendait résonner au plus profond de son cœur, mais grâce à son éducation épicurienne, elle parvint à renflouer les mauvais sentiments qui naissaient au sein de son âme. Son père avait péri dans la grande guerre du métro car, étant un habitant d'une station de la ligne hanséantique, il s'était battu aux côtés des siens et y avait trouvé la mort, laissant sa petite fille de un an orpheline - sa mère étant passé, elle aussi, de l'autre côté en lui donnant la vie.
Avant de partir il l'avait confié à ami de longue date venu de l'Arbatskaya avec qui il devait échanger pour affaires et qui avait accepté de veiller sur son enfant le temps de son absence. Mais cette absence se fit longue, puis infinie et Aleksandr Mikhaïlovitch  Ivankov ne revint jamais, laissant la tout juste née Svetka aux mains de ce petit érudit originaire de Polis. Il l'emmena avec lui et la confia aux bons soins des Brahmanes où elle fut élevée non pas comme une enfant mais comme la plus parfaite des savantes, dont l'esprit d'analyse et de compréhension fut travaillé et affûté.
Elle parle le russe et l'anglais parfaitement, maîtrise approximativement le français et a même quelques notions élémentaires de latin. Elle a beaucoup lu, et ses connaissances de l'ancien monde sont immenses mais étrangement elle ne tire aucun orgueil de cette intelligence. Prompte à s'introspecter, elle sait pertinemment que la contrepartie de ses connaissances est très lourde à porter : Une enfance solitaire, dépourvue d'amour et de rires, seulement accompagnée de cette petite voix intérieure qui résonnait dans sa tête comme une chanson. Mais même cette petite voix, qui distrayait et rassurait la jeune femme, disparut, croulant sous la masse de savoir que ses études studieuses et appliquées lui imposaient.
Et elle se retrouvait là, à presque vingt cinq ans, à écouter le cynisme et la peur teinter les voix de ses complices. Les années avaient passé et une paix fragile régnait silencieusement dans les couloirs froids et sinistres du métro moscovite. Mais les humains n'aimaient pas la paix, Svetlana ne pouvait leur en vouloir, cela semblait être dans leur nature que de trouver des moyens de ruiner chaque moment de tranquillité que ce monde faisait naître en son sein. Dans leur langue, calme rimait avec platitude et paix avec ennui, ou peur peut-être...Peur de tout perdre encore une fois, peur de faire confiance, peur de l'inaction.
Ah, l'inaction... Svetlana aurait pu écrire mille pamphlets sur la peur de l'inaction du corps qui conduit à l'inaction totale de l'esprit. La peur d'une chose qui induit la création d'une autre. Ils avaient si peur de rester là sans rien faire, à attendre, qu'ils agissaient bêtement, sans réfléchir, sans mesurer ni peser le pour et le contre de leurs actes.

Étirant son cou afin d'en faire doucement craquer la base, Svetlana esquissa un geste de la main pour signifier à Illitch Ivanov qu'elle avait entendu et comprit son message puis nouant ses mains l'une à l'autre, elle les posa bien devant elle, sur la table, laissant un silence studieux se propager dans la salle. Telle un robot, elle sélectionnait les mots qu'elle utiliserait pour sa réponse, séduites par certains mais déçus par d'autres.

"Mon cher ami, vous parlez de confiance et d'intelligence, vous parlez de mémoire ainsi que de puissance. J'aime vos mots clefs que j'associe néanmoins, sauf votre respect bien entendu, au domaine dangereux des sentiments et des passions, mon discours vous paraîtra peut-être plus stoïque, moins chaleureux mais il découle du domaine de la raison. Le seul mot que j'emploierai pour contrer vos valeureux et héroïque arguments sera le mot Survie, que vous devriez peut-être vous tatouer sur la main pour ne plus jamais l'oublier. Que sera notre mémoire quand elle mourra de faim ? Que sera notre mémoire si les communistes prennent possession de nos stations ? Que sera notre mémoire si il n'y a plus personne pour l'entendre ? Vous voulez perpétrer la petite guérilla qui se joue au sein de Polis ? Dois-je vous rappeler que nous sommes la plus petite des factions et que notre rôle à nous Brahmanes et de chercher à étendre notre influence sur l'immensité de la carte ?  Et vous me proposez quoi ? De nous battre contre les seuls qui veulent encore nous protéger ? Vous voulez affaiblir encore plus nos habitants et la cohésion qui nous tient debout ? Je ne supporte plus cet idéalisme de la pensée, cet élitisme dont nous sommes tous les acteurs permanents. Il faut s'allier avec les militaires, définitivement ; instaurer une paix durable entre eux et nous. Vous pourrez ainsi continuer à élaborer des théories fumeuses sur l'avenir du monde pendant que d'autres meurent à votre place."

L'ironie de sa dernière phrase mourut dans le silence à couper au couteau qui régnait autour d'eux et sans attendre quelconque réponse, elle ramassa son journal de bord qu'elle fourra dans son sac et quitta la salle sans se retourner, la laissant plus froide qu'elle ne l'était avant qu'elle n'y pénètre. Sa journée était finie, elle n'avait pas envie de rester plus que de raison à débattre avec ses congénères à l'esprit abscons et borné, elle était étrangement fatiguée et amoindrie, comme si la présence inhérente d'un futur sanglant la hantait et la déstabilisait subitement.

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