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Lun 26 Fév - 17:47
Le camarade lieutenant Alekseï Illitch Tkatchev est un homme pétri d’habitude et de routine. Il est de cette espèce de personne, qui a eu la chance de vivre dans un milieu bien cadré et sécurisé, loin des problèmes communs de la maladie, de la faim, ou du risque d’être tué par des bandits ou des mutants. Bien né, bien éduqué, ses journées sont réglées comme une montre, du lever au coucher, en évitant de trop s’éloigner des clous. Il infecte tout de sa routine. Et même les comportements qui ne sont pas routiniers, inévitablement, se muent pour ne devenir rien de plus que le même train-train qu’il connaît depuis sa tendre enfance, qu’importe à quel point il s’amuse à pervertir ce que ses parents lui ont apprit.
Range ta chambre.
Brosse-toi les dents.
Fais tes devoirs.
C’est cette routine qui a fait qu’il a, de façon très obéissante, suivit un enseignement à la Ligne Rouge, qu’il est parvenu à entrer dans la vie militaire directement avec ses jolis galons de lieutenant, et qu’à présent, tous les mois, il rejoint le VAR, pour aller « aux coins à champignon » comme il dit.

Aucun talent n’existe sur cette Terre. Les grands artistes ne sont pas nés avec des dons ; Ils l’ont obtenu par le travail et l’acharnement. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas une loterie parfaitement injuste quand à sa naissance. Et la tante du camarade Tkatchev l’a très bien réussie ; Prolo parmi les prolos du métro, elle avait la chance d’être une femme magnifique, qui faisait tourner les cœurs des jeunes hommes de sa station trop humide et trop cradingue. Jusqu’à ce qu’elle rencontre le camarade Soulianov. Genre, le Soulianov, un des gars du Politburo. C’est con l’amour, ou du moins l’envie de baiser ; Pour rendre service à son tout jeune neveu, Soulianov prit le gamin, Alekseï, sous son aile, et s’arrangea pour qu’il reçoive une bonne éducation, et qu’il épouse la jeune fille d’un autre membre du Politburo. Un mariage qui fait plus alliance féodale et népotisme papal qu’autre chose, c’est pas très communiste, mais si personne s’en plaint de ces règles ? Lié ainsi à deux grandes pontes de la Ligne, le bon Alekseï, gamin avec la main sur le cœur et les joues roses a pu bien grandir et avoir une opportunité de vie exceptionnelle, bien loin des machines-outils dangereuses et des poudres asphyxiantes dans des ateliers insalubres, pour fabriquer des balles et réparer des kalachnikovs. C’est cet avenir qui m’était également réservé, et que j’ai fuis en rejoignant l’armée. On est un peu pareils lui et moi.

Sauf que lui il est plus gourmand.

Le problème des gosses de riche ce qu’ils ont des problèmes que nous on a pas, les pauvres. Ils peuvent pas s’empêcher de transformer leurs volontés auto-destructrices en délires mégalomaniaques insatiables. On en a tous des délires autodestructeurs, les militaires plus que les gens normaux. Mais moi, j’ai le plaisir de boire mon alcool de pneu dans le noir d’une voie de métro, je n’ai pas la brillante idée de prendre le petit train et de franchir la frontière pour rejoindre le VAR à chaque fois qu’une envie me prend d’abuser de mes congés et de mes connaissances.
Le truc chiant c’est que le lieutenant il est incapable d’y aller tout seul. Il a peut-être trop peur de se faire planter ou de se faire tabasser par des nosalis au détour d’un carrefour. D’où ma narration de départ. D’où pourquoi je me retrouve obligé, un jour parfaitement normal, de suivre une caravane commerciale et de franchir les boyaux en béton armé du métro moscovite pour accompagner le camarade lieutenant.

Pardon, pas camarade lieutenant.

« Aliocha ? »

Le seul malin plaisir que je peux tourner de cette connerie, c’est de pouvoir appeler le gendre du camarade Soulianov par son surnom. Malheureusement, ça ne semble pas le rendre en colère. Tout au contraire, ça peut pas l’empêcher de le faire sourire, d’un sourire canaille de côté, satisfait de lui-même.
Il a tout le temps l’air satisfait de lui-même.

« Oui Grisha ?
– Vous voulez pas ranger votre épée ?
– Pourquoi ?
Me demande-t-il après un instant de réflexion où il posa la main à la ceinture.
– Parce que ça crie « Ligne Rouge ». À nous trois avec des flingues et des habits civils on peut passer pour de quelconques stalkers, ou une bande de mercenaires qui suivent une caravane, mais le sabre d’officier ça c’est criant. C’pas discret. Voilà quoi.
– Et alors ? Qu’il ose demander avec un petit clin d’œil, avant de tracer la route.
– Les gens croiront qu’il l’a volé sur une huile, t’inquiète »
, renchérit pour bien me contredire le camarade Trutnev. Je lui fais un clin d’œil à lui aussi, mais avec un sourire mauvais et forcé, et il capte bien ma grimace puisqu’il détourne le regard et suit le lieutenant.

Le lieutenant a pris la confiance. Ça fait un bout de temps qu’il passe des week-ends ici, à défaut d’avoir une datcha sur le bord de la Volga comme faisaient les riches d’avant. Le problème c’est que le VAR c’est pas la Volga. C’est loin. Et c’est pas un endroit très « prolétaire » si je puis me permettre. Je dis pas que la Ligne il y a que des gens joyeux mais j’en demande pas tant, juste qu’on pourrait aller moins loin. Là on marche sur une vieille rame, et ça pue, ça pue la nourriture qu’on fait cuire, ça crie parce que des enfants jouent en courant à travers la petite foule de gens qui vont et viennent. On zieute quelques hommes armés, qui doivent faire partie de la milice locale, et qui se dirigent vers une des voies ; Je crois qu’ils vont tenir une barricade.
Et au milieu de ça, on se retrouve à pinailler, moi, Trutnev, et le lieutenant.

« Mon vendeur il m’a donné rendez-vous à treize heures alors on a encore un peu de temps ! »


Le VAR a des horloges partout. Y me suffit de zieuter dans un coin, nonchalamment, pour trouver la grande horloge de la station VDNKh. Il est onze heures. Difficile de savoir l’heure si y a pas un soleil au-dessus de sa tête ; Souvent c’est l’estomac qui gargouille qui m’indique quand est censée arriver l’heure du repas, mais ça change selon les gardes et le poste, donc c’est vraiment pas une mesure précise.

« En attendant on va se poser, propose le lieutenant.
– On va pas boire alors qu’il est même pas midi, quand même ? Se plaint Trutnev.
– Regardez-le ! Je me mets à railler méchamment, en fronçant les sourcils. Le mec il est pas gêné de jouer aux cartes par contre boire jamais !
– Perdre du fric c’est pas m’empoisonner à l’ethanol.
– Pfft... Depuis quand tu sais c’est quoi l’ethanol ? »


Le lieutenant écoute même pas nos vannes. Il sait de toute façon que je vais gagner ; J’ai les galons au-dessus de lui, forcément que ce que je dis a plus de vérité. C’est comme ça que ça marche, pour être boss.
Même si j’ai pas les galons sur moi. Actuellement, faut vous imaginez quelle gueule je tire : Gilet en cuir, vieux jeans comme futal, j’ai quand même les rangers aux pattes parce que c’est des bottes increvables. Niveau équipement militaire, du coup c’est forcément réduit. J’ai même pas la kalash en fait. Même si ici c’est plein de stalkers, c’est pas pour autant que les gens sont spécialement à l’aise de voir débarquer des groupes qui portent plein d’artillerie. Juste un pistolet caché à l’intérieur de ma veste, et le poignard dont je sens le fer contre mes fesses parce que je l’ai placé derrière le pantalon ; Trutnev et le lieutenant préfèrent le mettre dans leur botte, y a une petite sangle faite exprès pour ça, mais j’ai plus confiance où moi je mets. On est franchement pas armés, pas plus qu’on a sur nous des filtres à masque à gaz, des shots de morphine, des grenades, une boussole, ou tout autre outil qui est normalement conseillé par tout bon explorateur du métro ; Pour l’aller, et pour le retour, on a rejoint une caravane de marchand. Le genre de gus qui se mettent sur des draisines blindées, avec leurs lances-flammes et leurs fusils prêts à cracher du calibre 12 pour protéger leurs cargaisons qui permettent d’assurer le commerce entre les stations moscovites. Depuis l’aube des temps, c’est ceux qui assurent le commerce qui sont le plus puissant.
Le défaut, c’est qu’on est obligé d’attendre ces caravanes. Et qu’on ne peut donc pas rentrer à notre guise quand on veut. J’aime pas ça. Je me sens prisonnier du VDNKh plus qu’autre chose. Je marche la mâchoire et les poings serrés, sans que la vision de quoi que ce soit puisse me tranquiliser. Certainement pas la foule ou la viande qui rôti ou le thé local que je vois servi à un angle de « rue ».

Suivant le lieutenant, qui marche comme s’il connaissait les lieux – mais en réalité il les connaît autant que moi, c’est-à-dire quasiment pas, c’est juste que sa race est du genre à être pleine d’assurance tout le temps – on avance jusqu’à l’endroit où on est allés, à chaque fois, pour « attendre » le « vendeur ». On a jamais été volés ou agressés alors on a décidé de réitérer et pas tenter un autre endroit. Pure xénophobie.
On s’approche d’une vieille rame de métro en panne. Une rame privatisée et retapée, avec les vitres camouflées et une petite pancarte en bois peinte qui donne un nom au lieu : Le « Pod Mukhoi », apparemment. Devant y a un vigile ; Un type assez mastoc, rasé de près, une cicatrice qui lui donne la bonne gueule stéréotypée du type fort. Il laisse aller et venir les gens, c’est pas un endroit privé et huppé. Simplement, c’est un endroit avec du jeu d’argent, des filles, et de l’alcool, vous vous doutez bien qu’il faut vite remettre de l’ordre pour empêcher tout débordement. Non pas que les gens du cru sont spécialement dégénérés – bien que, n’étant pas de la LR, il faut toujours se méfier – mais c’est partout pareil, l’alcool est une constante anthropologique de démolition de la cervelle. Pour ça que je bois peu. Sauf avant les sorties en extérieur.
On entre à l’intérieur, donc. Parce qu’il n’est que onze heures et qu’à cette heure-là normalement les gens du VAR sont occupés, il y a pas foule. Des tables, une sorte de bar improvisé construit dans l’étroitesse de la rame, avec quelques miliciens en pause ou des caravaniers de passage qui se détendent. Autant vous dire que ça fait un ratio de flingue par client trop inhabituel. Sitôt poussé le rideau de l’entrée, le lieutenant salue bruyamment les gens assis ; Une table occupée nous lève les verres. Ceux au fond nous ignorent en grimaçant. Y doivent se sentir tellement spéciaux ces enfoirés, j’en ricane.
Et du coup on prend nous aussi notre table dans un coin. Celle-là plus proche de « l’estrade ». Faut vraiment vous rendre compte comment, même avec les travaux, c’est minuscule une rame de métro. Le wagon a tout juste de quoi tenir quelques personnes en hauteur côtes à côtes. Là en ce moment y a un mec avec un accordéon qui joue quelque chose. C’est pratique l’accordéon on peut jouer ce qu’on veut avec.
À peine posés, je pousse un petit gémissement satisfait de plus avoir à marcher. Mais Trutnev sort un petit paquet de cartes. Je siffle.

« Oh non. Désolé, non.
– Allez ! T’as pas peur de te faire encore plumer quand même ?
– Je trouve ça débile.
– Et vous camarade lieutenant ?
– Allez, pourquoi pas »
, sourit l’officier alors qu’il fait signe au tenancier derrière son bar d’approcher.