Polis, la belle.
Jalousée par tous les habitants du métro, cette cité renfermait en ses murs la mémoire de l'humanité ou plutôt, les restes éparses et lointains de cette mémoire. Yulia vivait à la Borovitskaya, une station parfaitement conservée aux murs de marbre immaculés. Sa boutique en briques rouges, attirante par son petit côté ésotérique trônait au fond de la station, sous le regard sévère des grandes arcades blanches, acculée par d'autres habitations semblables.
Elle avait passé sa journée en réunion avec sa caste et quand elle pu enfin s'échapper en fin de journée, les lumières de Polis s'étaient déjà doucement tamisées.
Pendant l'assemblée, la Russe n'avait pu s'empêcher de prendre la parole quand le sujet des militaires étaient finalement apparu au milieu de leur conversation déjà houleuse.
Ils étaient en danger constant face au métro et à ses tunnels, face à l'extérieur et à ses horreurs mais aussi face aux autres stations qui ne cessaient de bourdonner autour d'eux. Si ils continuaient de se disputer au sein même de Polis, ils courraient à leur perte.
Le débat s'était clôt sur des cris exaspérés et des sourcils haussés et Yulia avait tout bonnement quitté la pièce. Cette bande de vieillards acariâtres et bornés allaient les mener droit vers le gouffre, elle en avait assez de leurs excuses vides de sens et de leurs arguments prétentieux.
Quand elle arriva à la boutique, sa grand-mère l'attendait de pied ferme tout en balayant le pas de la porte. Yulia savait qu'elle était bonne pour une dispute en règle mais elle n'avait véritablement pas la tête à se la prendre avec sa grand mère. Elle était fatiguée de cette journée éreintante et elle ne désirait qu'une chose, oublier les êtres humains et leurs égos surdimensionnés.
En arrivant devant son aînée, Yulia lui coupa l'herbe sous le pied, tout en la bousculant doucement pour rentrer dans l'échoppe :
- « Je sais la réunion a duré longtemps, crois moi si j'avais pu je serai revenu depuis bien longtemps mais j'ai des obligations et tu le sais. Va te reposer, je prend le relais. »
Irene Anatolievna n'en avait pas rajouté mais s'était esquivé en grommelant dans sa barbe.
Yulia était désormais seule dans le magasin, rassurée par la chaleur ambiante qui se dégageait de cet endroit étroit mais convivial. Alors qu'elle se plongeait dans le rangement hâtif et incertain de son lieu de travail, une voix rauque la tira de ses pensées, l'obligeant par la suite à relever ses grands yeux bleus. Un homme se trouvait à l'entrée de la boutique, ni dedans, ni dehors, l’œil apparemment attiré par les ouvrages en devanture.
La jeune femme rejeta son indéfectible chevelure rousse en arrière avant de se frayer un passage entre les ouvrages éparpillés un peu partout dans la pièce afin d'atteindre son nouveau client.
- « Bonjour », murmura t-elle d'une voix douce.
« Je peux vous aider ? Vous souhaiteriez les voir de plus près peut-être ? », demanda t-elle en pointant son doigt sur les livres qu'il regardait avec avidité.
Yulia en profita pour observer discrètement son interlocuteur.
Le visage musclé, une mâchoire longue et carrée, des cicatrices parsemées sur sa peau légèrement halée, il possédait un nez droit surmonté de petits yeux bleus. Il dépassait légèrement la jeune femme d'une vingtaine de centimètres.